Les taux plus élevés ramènent les investisseurs vers les titres à revenu fixe

Revenu fixe
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Après une année 2022 à oublier, la plupart des classes d’actifs ont amorcé 2023 sur une base très solide. Les investisseurs ont estimé, avec raison, que le gros des hausses de taux vouées à combattre l’inflation record de la dernière année était maintenant dans le rétroviseur.

Le renversement a été particulièrement marqué pour les obligations. Bien que les hausses de taux en 2022 aient pesé lourd sur la valorisation des actifs, l’augmentation des taux obligataires s’est généralement traduite par de nouvelles émissions avec des coupons qui n’avaient pas été vus depuis avant la crise de 2008. Selon leur échéance, les obligations du gouvernement canadien et du Trésor américain offrent actuellement un rendement de 2,5-4,0 % et 3,5-4,5 %, respectivement. Les investisseurs obtiennent un rendement supplémentaire de 100 points de base ou plus pour les obligations de sociétés, soit un coupon d’environ 6 % pour certains émetteurs de qualité investissement.

Et comme la courbe de taux est inversée, les investisseurs sont dans une position inhabituelle : ils reçoivent un rendement plus élevé en réduisant leur terme de détention jusqu’à échéance. Ces hauts rendements incitent plusieurs investisseurs à s’empresser d’augmenter leur exposition aux titres à revenu fixe. Le syndrome FOMO — fear of missing out, ou la peur de manquer une occasion — a créé une frénésie pour devancer l’éventuel pivot de la banque centrale qui entraînera les taux plus bas (nous y reviendrons plus tard).

La question clé à se poser devient la suivante : comment se positionner de façon optimale pour bénéficier des changements fondamentaux survenus l’an dernier dans le marché obligataire mondial, surtout si les taux plus élevés s’avèrent temporaires?

Dans cet article, nous examinons quelques façons d’exploiter les taux obligataires relativement plus élevés d’aujourd’hui, et nous identifions les forces et faiblesses de chaque approche. En annexe, nous expliquons quelques concepts clés pour les lecteurs qui s’initient au revenu fixe ou pour ceux qui souhaitent se rafraîchir la mémoire.

Les taux obligataires remontent d’un creux historique

La dernière décennie a été particulièrement difficile pour les titres à revenu fixe. Après 2008, les banques centrales ont misé sur un apport de liquidité constant pour assurer la bonne marche du système financier et ont maintenu l’économie mondiale sur le respirateur artificiel, nous plongeant dans une longue période de taux d’intérêt à zéro ou près de zéro. En Europe, les taux sont même tombés en territoire négatif.

Conséquence déconcertante : dès que les banques centrales tentaient de retirer un peu de liquidité du système — à la fois pour dégager une marge de manoeuvre si un éventuel stimulus monétaire s’avérait nécessaire et aussi pour tenir l’inflation à distance — les marchés reculaient, déclenchant le soi-disant « put », ou plancher de la Réserve fédérale. Les banques centrales sont même allées jusqu’à acheter leurs propres obligations souveraines et des obligations de sociétés locales pour garder les taux bas, une stratégie connue sous le nom d’assouplissement quantitatif.

Étant donné l’accent mis par les banques centrales sur « l’argent bon marché », une grande partie du fardeau de maintenir à flot le système est tombé sur les épaules des investisseurs obligataires. Il est vrai que l’inflation était à peu près inexistante au cours de la décennie ayant précédé la pandémie mondiale, mais c’était une mince consolation pour les retraités et propriétaires d’entreprises dont le train de vie dépendait de revenus stables provenant de leurs actifs obligataires. Dans les pires cas, les investisseurs payaient les émetteurs obligataires simplement pour détenir leur argent et recevaient en retour moins que leur mise de départ. Certains investisseurs ont opté pour un risque de crédit ou d’échéance plus élevé afin d’accéder à des taux ou des coupons plus en phase avec leurs besoins. Mais avec les taux souverains maintenant au-delà des 3 %, les options qui s’offrent aux investisseurs obligataires sont plus attrayantes.

CPG

Des taux d’intérêt sur les CPG supérieurs à 4 ou 5 % ressemblent à un cadeau du ciel après des années à obtenir à peine plus que notre capital de départ. Investir dans un CPG entraîne un risque minimal, aucun frais s’il est détenu jusqu’à l’échéance, et aucune variabilité de taux pendant la période de détention, à condition d’avoir acheté un produit à taux fixe.

Mais les CPG présentent d’importants désavantages. Tout d’abord, le rendement d’un CPG à taux fixe est limité à son coupon et par conséquent, il ne tient pas compte des changements à l’inflation ou des variations de rendements dans le marché obligataire. De plus, compte tenu du faible risque relatif des CPG, le taux d’intérêt initial est moins attrayant que ceux offerts par les obligations provinciales ou de sociétés.

Il y a aussi un risque de réinvestissement, qui réfère à la possibilité que les taux d’intérêt soient plus bas à l’échéance du CPG, un problème qui s’accentue lorsque la plupart de vos placements sont détenus dans un petit nombre de produits qui arrivent à terme à peu près en même temps.

Finalement, la détention de CPG peut devenir un réel problème si vous avez besoin d’accéder à votre argent avant l’échéance, puisque l’institution émettrice risque d’imposer des frais importants au rachat (ces frais seront déterminés en partie par le taux d’intérêt en vigueur au moment de la vente).

Acheter des obligations directement

Comme nous l’avons mentionné, les obligations provinciales, municipales et de sociétés offrent normalement des rendements plus élevés que les CPG, mais rien n’est gratuit. Plusieurs facteurs doivent être pris en considération lors de l’achat direct d’obligations, comme les commissions et la nécessité de maintenir un compte de courtage.

Sur le marché obligataire, la majorité des ordres placés par les investisseurs individuels représentent une fraction de la taille de ceux des régimes de retraite et autres investisseurs institutionnels. Par conséquent, les frais de courtage auront un impact négatif plus important sur le rendement des investisseurs individuels.

De plus, dès qu’on quitte la sûreté relative des CPG, le risque de crédit devient un enjeu. De toute évidence, un pays comme le Canada, avec sa cote AAA, présente peu de risque de crédit pour les acheteurs. En contrepartie, son taux de rendement est plus faible et ses obligations viennent avec certains des mêmes risques associés aux CPG (risque de réinvestissement, risque d’inflation, risque de taux d’intérêt).

Investir dans les obligations provinciales, municipales et de sociétés s’accompagne généralement de rendements plus élevés, mais le risque de crédit est davantage un enjeu. Tout ce qui est noté BBB ou mieux est considéré de bonne qualité, mais les notations changent avec le temps et sont influencées par plusieurs facteurs, comme les risques spécifiques aux émetteurs, à l’industrie, à l’économie ou au modèle d’affaires. Conséquemment, tout comme pour l’achat d’actions, l’achat d’obligations nécessite un niveau de sophistication très élevé ainsi qu’un suivi continu des conditions liées aux émetteurs spécifiques.

Dès qu’on tombe en deçà des obligations notées BBB, on entre dans l’univers des obligations à haut rendement, ou de pacotille, qui introduit un large éventail de risques très complexes. Le choix de titres individuels dans ce segment du marché requière une expertise professionnelle et ne devrait pas être entrepris par des investisseurs non spécialisés.

FNB

Les FNB d’obligations sont généralement bien diversifiés puisqu’ils sont souvent représentatifs d’un indice de référence exposé à un large éventail d’émetteurs. De plus, les frais de courtage sont plus simples et similaires à ceux des actions, alors que la liquidité n’est habituellement pas un problème (bien que la fixation des prix puisse être un enjeu en période de stress de marché).

Les FNB sont généralement destinés aux investisseurs plus sophistiqués puisque les fluctuations quotidiennes des prix sont influencées par les conditions qui prévalent dans le marché. Par conséquent, les investisseurs qui optent pour des FNB obligataires devraient être à l’aise avec les concepts liés à l’économie, aux marchés des taux obligataires, aux événements géopolitiques, et ainsi de suite. Les investisseurs devraient aussi être conscients du fait que les FNB se négocient sur le prix, et non sur le taux. La valeur de votre placement monte et descend comme les actions et il est évalué au prix du marché, même si les actifs sous-jacents sont des obligations. Aussi, puisqu’un FNB est acheté comme un portefeuille construit d’avance, l’investisseur ne peut d’aucune façon modifier ses positions.

Bien que les frais associés aux FNB passifs soient généralement beaucoup plus bas que ceux des fonds communs gérés activement, les FNB peuvent détenir des titres auxquels la plupart des investisseurs préfèreraient ne pas être exposés, ce qui peut coûter plus cher à long terme que les économies de frais. Ces problématiques sont normalement plus marquées pour les FNB d’obligations de sociétés ou à haut rendement.

Fonds communs

Les fonds communs obligataires (incluant les fonds distincts offerts par des compagnies d’assurance) répondent à plusieurs préoccupations citées ci-dessus, mais ils ont leurs propres risques.

Les fonds communs obligataires permettent aux investisseurs individuels d’accéder au marché comme s’ils étaient des investisseurs institutionnels et ainsi bénéficier de l’avantage de taille, ce qui diminue l’impact négatif des frais de courtage. Ce pouvoir d’achat permet aussi aux fonds communs d’obtenir une meilleure tarification qui va au-delà des commissions, puisque les gestionnaires de fonds peuvent acheter des obligations en gros et les attribuer ensuite à différents mandats. Grâce à leur taille, les gestionnaires de fonds communs obligataires sont généralement invités à participer aux nouvelles émissions, leur permettant de bénéficier de toute concession de prix normalement offerte avant l’inclusion d’une obligation dans un indice. Les investisseurs individuels ne peuvent généralement pas participer directement au marché des nouvelles émissions obligataires.

À l’instar des FNB, les fonds d’obligations ont habituellement un niveau de diversification que les investisseurs individuels ne peuvent répliquer par eux-mêmes à cause de contraintes de taille et des frais de courtage. Il y a aussi un large éventail de fonds disponibles, permettant aux investisseurs de faire des choix sur mesure selon leurs critères de risque, de répartition d’actifs ou d’exposition économique. Le positionnement du portefeuille peut facilement être ajusté en fonction de changements aux conditions économiques ou aux circonstances personnelles.

De plus, grâce à la sophistication grandissante des investisseurs institutionnels sur le plan quantitatif, les fonds obligataires bénéficient maintenant de processus tel que l’optimisation de portefeuille, qui offre la possibilité aux gestionnaires de battre leur indice en se concentrant sur les obligations avec le meilleur potentiel de rendement selon des études statistiques historiques. Pour un investisseur individuel, bénéficier de l’expertise d’un gestionnaire de portefeuille est le principal incitatif à privilégier un fonds commun obligataire. Que ce soit par l’utilisation de méthodes quantitatives, l’analyse fondamentale, l’analyse technique ou une combinaison des trois, la gestion de portefeuille active et professionnelle offre une approche de sélection d’actifs plus complète. Ce processus vise à ajouter de la valeur au-delà d’une simple approche passive ou minimalement gérée, ce qui explique les frais de gestion plus élevés par rapport aux FNB.

Les fonds communs obligataires répondent aux préoccupations liées au risque de réinvestissement en effectuant des transactions chaque jour, remettant ainsi au travail les paiements de coupons ou de principal en même temps que les entrées de fonds provenant de nouveaux investisseurs. Ces réinvestissements constants permettent aux gestionnaires de portefeuille de repositionner régulièrement leurs fonds selon les conditions changeantes des marchés du crédit et des taux, en allongeant/écourtant la durée ou en augmentant/diminuant le risque de crédit. De plus, compte tenu de leur plus grande taille, les fonds communs obligataires peuvent utiliser des produits dérivés pour bonifier les rendements, en ajoutant temporairement du risque ou en créant une protection.

Comme mentionné, les fonds communs d’obligations ont leurs propres risques. Ils se négocient en fonction du prix, comme les FNB, et peuvent fluctuer à la hausse comme à la baisse selon les conditions du marché. Il suffit de se rappeler 2022 pour constater le dommage que peut causer un environnement de hausses de taux sur la valeur des fonds obligataires.

Mais les fonds communs obligataires ont un atout en ce qui a trait à l’exposition au risque de réinvestissement. Contrairement aux CPG, les fonds communs d’obligations ont l’avantage de pouvoir « rouler » l’exposition au réinvestissement vers des coupons et des taux de rendement plus élevés, selon le type d’obligation (nouvelle émission ou marché secondaire). Un autre avantage est le rendement après impôt, qui est une combinaison de revenus de coupons et de gains/pertes en capital. Il importe aussi de mentionner, si on fait fi des dernières années, qu’il est extrêmement rare de voir les indices obligataires subir des pertes deux années de suite. Ainsi, même une mauvaise année offre une occasion de réduire son coût moyen et de participer à la reprise du marché.

Perspectives

Nous croyons que les rendements obligataires au Canada ont probablement atteint leur point culminant à la fin de l’automne dernier, alors que les obligations à 10 ans surpassaient 3,6 %. Il est clair que l’inflation suit une tendance baissière, mais il est trop tôt pour crier victoire. Nous ne partageons pas entièrement l’opinion du marché, qui s’attend à ce que la Banque du Canada et la Réserve fédérale fassent marche arrière cette année, et ce en dépit des récentes difficultés des banques régionales américaines ou le Crédit Suisse qui montrent l’impact de la hausse des taux sur le système financier. Nous voyons aussi une possibilité que les taux des obligations remontent temporairement jusqu’à leur sommet récent, une fois que le calme sera revenu sur les marchés, en particulier à cause de l’inflation persistante et la solidité du marché de l’emploi.

Nous nous attendons encore à ce que les taux directeurs aux États-Unis atteignent un sommet à plus de 5 %, un niveau qui devrait être maintenu pour le reste de 2023 et au tournant de 2024. L’inflation est bien au-dessus de la cible de 2 %, et les banquiers centraux des deux côtés de la frontière ont martelé que leur objectif premier est de reprendre le contrôle sur l’inflation.

Dans ce contexte, nous sommes d’avis que les fonds communs d’obligations sont la meilleure solution pour tirer avantage des taux actuels plus élevés. Nous ne croyons pas que les rendements obligataires déclineront en ligne droite, ce qui permettra aux gestionnaires de fonds communs d’ajouter du rendement avec leurs entrées de fonds régulières. De plus, avec des taux qui baissent — ce qui, à notre avis, surviendra au cours des prochaines années — les fonds communs d’obligations bénéficieront à la fois des coupons plus élevés qui seront émis et des gains en capital liés aux hausses de la valeur des obligations. Nous croyons fermement qu’il est très difficile d’anticiper les marchés (c’est-à-dire de faire du market timing) et pensons que les fonds communs obligataires sont mieux positionnés pour atténuer ce risque. De plus, les investisseurs peuvent créer leur propre stratégie de protection en s’inscrivant à un programme d’achat automatisé de fonds communs.

Les rendements des obligations et CPG sont plus élevés que ce que nous avons vu depuis un bon moment, mais le risque de réinvestissement devient plus prononcé alors que les taux baissent. Selon nous, le marché présente un défi dont le dénouement sera binaire : soit l’inflation redescendra et les banques centrales commenceront à réduire les taux, soit l’inflation demeurera soutenue et elles conserveront des taux élevés plus longtemps, ce qui entraînerait une récession qui les inciterait à réduire les taux. Dans les deux cas, il est probable que les taux baisseront dans les prochaines années — à moins qu’un événement géopolitique provoque une remontée de l’inflation, comme l’a fait la COVID ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Nous croyons que la surperformance des titres à revenu fixe au cours des prochains mois proviendra en partie du positionnement sur la courbe. Avec un niveau d’inversion de la courbe qui n’a pas été vu depuis quelques générations, nous croyons que les gestionnaires de fonds obligataires sont les mieux placés pour tirer profit de stratégies misant sur la pentification ou l’aplatissement de la courbe, par exemple (comparativement aux investisseurs individuels qui utilisent des CPG ou détiennent directement des obligations, ou même, qui négocient des FNB obligataires exploitant différentes parties de la courbe). Et si les conditions économiques devaient ralentir plus tard cette année, l’expertise des gestionnaires de fonds obligataires dans l’évaluation du crédit deviendrait d’autant plus importante.

Jason Parker

Vice-président, revenu fixe

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