Démocratision des placements privés

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Les placements privés sont-ils une classe d’actifs réservée aux investisseurs institutionnels ? Plus maintenant. Un vent de changement souffle au sein de l’industrie des placements, qui déploie des efforts visant à démocratiser l’accès à cette classe d’actifs afin de l’offrir à une clientèle élargie.

Ce développement ne se fait pas en un clin d’œil : outre la complexité de gestion des véhicules pour les gestionnaires, il faut également que les « nouveaux » investisseurs apprivoisent ces nouvelles occasions. Ces efforts valent la peine, car l’inclusion de placements alternatifs dans la construction d’un portefeuille comporte des avantages. Alors que les manchettes mettent de l’avant des thèmes tels que les placements privés, l’infrastructure et la dette privée, vous vous demandez peut-être pourquoi votre conseiller financier ne vous les a toujours pas recommandés. La réponse est simple. Il y a à peine quelques années, cette option n’était pas disponible au Canada. Cependant, la situation s’améliore d’un trimestre à l’autre.

Les avantages de la classe d’actifs

Commençons par définir ce qu’est un placement privé. Il consiste à investir dans une société dont les actions ne sont pas offertes sur les marchés publics. Pour reprendre l’exemple cité dans notre Survol des marchés privés de septembre 2023, cette définition couvre autant une petite entreprise locale qui vend des systèmes de chauffage et de climatisation à des clients résidentiels et industriels qu’un géant comme Ikea, un distributeur international de meubles dont les ventes annuelles dépassent les 47 milliards d’euros.

Bien que nous en parlions peu, les entreprises privées jouent un rôle majeur dans l’économie. Alors que la capitalisation boursière mondiale atteint 101 000 milliards $ US, la valeur des placements privés sous gestion se situe à seulement 13 000 milliards $ US. Mais le nombre d’entreprises privées est de loin supérieur, représentant 87 % des sociétés aux États-Unis et 95 % en Europe. L’économiste en chef d’Apollo, Torsten Slok, soulignait en début d’année que 80 % de l’emploi total aux États-Unis est à l’extérieur du S&P 500. En somme, la majeure partie de l’économie américaine est dominée par des entreprises privées. Le bassin d’occasions est vaste et en expansion, ce qui peut contribuer à la diversification d’un portefeuille, alors que le nombre de sociétés publiques continue de diminuer, à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Non seulement les investisseurs institutionnels canadiens sont actifs dans les placements privés, mais ils ont augmenté leur allocation au fil des ans.

Les avantages sont considérables :

  • Des performances historiques à long terme supérieures à celles du marché public
  • Une faible corrélation avec le marché public, réduisant ainsi la volatilité du portefeuille
  • Un accès à un plus vaste bassin d’occasions d’investissement

Cela dit, les efforts visant à accroître le niveau de connaissances dans l’industrie demeurent nécessaires. Ceci permettra de mieux expliquer le fonctionnement du marché et de démystifier certaines idées préconçues.

Comment expliquer la surperformance liée aux placements privés ? Régulièrement analysée, cette question appelle plusieurs éléments de réponse. La détention et la vision à long terme sont des facteurs importants. Contrairement aux sociétés cotées en bourse, les gestionnaires privés peuvent élaborer des stratégies sur plusieurs années, sans devoir gérer des attentes de performance sur une base trimestrielle. Ceci leur permet d’absorber des pertes ou des dépenses initiales pour construire des bases solides en vue d’une croissance future. En résumé, la création de valeur est générée sur plusieurs années, ce qui rend la classe d’actifs moins liquide et oblige les investisseurs à être patients pour voir le fruit de leurs investissements. La carence de liquidité est un élément crucial à prendre en compte dans l’accès aux placements privés.

Par ailleurs, la structure des firmes de placements privés et la gouvernance mise en place lors de l’acquisition d’une entreprise doivent également être prises en considération. Lors de l’acquisition d’une société privée, un fonds prendra généralement les rênes du conseil d’administration et bénéficiera d’un accès direct à l’équipe de gestion. Une structure de capital sera établie pour faciliter la mise en œuvre du plan de création de valeur. De plus, afin d’assurer l’alignement des intérêts entre toutes les parties prenantes et favoriser l’esprit entrepreneurial, les droits de participation à l’actionnariat peuvent être alloués à la fois à l’équipe de gestion et aux employés, une pratique de plus en plus courante pour ces derniers

En outre, les firmes de placements privés ont plusieurs équipes distinctes, notamment dans l’optimisation opérationnelle et l’optimisation de la structure du capital. Après l’acquisition, une gestion active quotidienne est mise en place. Cette implication s’étend à plusieurs entreprises, permettant ainsi d’appliquer les leçons apprises d’une entreprise à une autre au fil des ans.

Un reproche fréquemment formulé à l’encontre des placements privés porte sur leur cadre réglementaire plus souple et moins contraignant. En ce sens, Partners Group a déjà soulevé l’idée dans un livre blanc que la gouvernance imposée aux sociétés publiques a comme conséquence de mettre davantage l’accent sur les contrôles internes et la gestion de risques potentiels au détriment d’objectifs entrepreneuriaux. Cela dit, les marchés privés demeurent réglementés et les firmes d’investissement privé ont un devoir fiduciaire envers leurs investisseurs. Bref, ce n’est pas non plus le Far West.

En conclusion, en dépit de l’argument souvent évoqué des frais de gestion élevés pour ces classes d’actifs, de multiples scénarios de marché démontrent la valeur ajoutée en ce qui a trait aux rendements nets, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Obstacle à l’accessibilité pour les investisseurs individuels

Compte tenu de ces avantages, la question logique est la suivante : pourquoi cette classe d’actifs était-elle jusqu’à récemment détenue principalement par les investisseurs institutionnels ?

Pour offrir ces investissements à une clientèle non institutionnelle, il est essentiel de garantir que les conseillers et les clients en comprennent bien la nature, ses avantages, ainsi que les risques, y compris l’illiquidité potentielle de ces placements. Les concepts spécifiques de ces actifs sont bien compris par les investisseurs institutionnels, tels que les structures des contrats, les types de véhicules d’investissement, les mécanismes de frais de gestion et d’administration, les termes de l’investissement et les risques qui y sont associés. Mais un effort d’éducation important sera nécessaire pour s’assurer que ces produits soient recommandés adéquatement. Du côté des firmes privées, il faut également prévoir des ressources significatives en matière de relations publiques, de service client et de marketing pour gérer un volume important de demandes, ce qui diffère de la structure actuelle établie pour gérer une clientèle institutionnelle.

L’offre de l’industrie a traditionnellement été composée, en majeure partie, de fonds fermés (cette situation tend à changer). Dans cette structure de fonds, le seuil minimal de participation s’élève généralement à 10 millions de dollars, ce qui constitue un autre obstacle à la participation d’une clientèle individuelle. L’investissement dans un fonds implique le déploiement d’une partie ou de la totalité des fonds sur une période de trois à quatre ans, suivie d’une période de détention de quatre à cinq ans. Les distributions qui seront reçues devront être réinvesties pour maintenir une allocation stable. Imaginons un portefeuille composé de multiples fonds, chacun ayant des échéances différentes, qui doivent être intégrées dans la construction du portefeuille. Bien que les institutions aient développé des outils et des équipes qualifiées pour gérer ce type d’allocation, la complexité devient difficilement gérable pour un particulier.

La liquidité réduite des placements alternatifs est également un enjeu. Mais elle est aussi source de création de valeur (prime de liquidité), qui se produit sur plusieurs années pendant lesquelles l’investissement est généralement non disponible. Encore une fois, cet inconvénient de la classe d’actifs doit être expliqué aux investisseurs individuels pour qu’ils déterminent son allocation en conséquence.

Finalement, contrairement aux actions publiques, l’acquisition de placements privés nécessite beaucoup plus de travail administratif en raison des obligations légales, réglementaires et même fiscales. Cela représente une importante barrière à l’entrée pour les conseillers, qui doivent gérer cette paperasse et avoir les outils nécessaires pour faciliter ce processus. L’enjeu était tout autant un défi pour la plupart des gestionnaires privés, qui n’étaient tout simplement pas préparés pour gérer un volume élevé de transactions. Heureusement, la mise en place d’outils et de facilitateurs, tels qu’iCapital ou Moonfare, a favorisé l’accessibilité en abaissant cette barrière à l’entrée.

Transformer le marché pour le démocratiser

La démocratisation des placements privés, qui passe par la réduction des frictions énumérées précédemment, consiste à faciliter l’accès à un plus grand nombre d’investisseurs. Il est indéniable que cet effort vise également à augmenter les actifs sous gestion de ces gestionnaires. En effet, bien que les investisseurs individuels représentent 50 % des actifs sous gestion mondiaux, ils ne détiennent que 16 % des actifs en placements alternatifs[1]. Il existe donc un immense potentiel, ce qui a incité les acteurs de l’industrie à redoubler d’efforts permettant d’offrir de nouvelles options de placement aux investisseurs individuels. La situation profite à toutes les parties impliquées. Cette tendance repose ainsi sur deux grands thèmes, soit l’assouplissement de certains cadres réglementaires et l’innovation dans la conception des produits.

Une forte réglementation continue de gêner l’accès à cette classe d’actifs, dont la nécessité d’être un investisseur qualifié[2] au Canada, ce qui limite l’accès à grande échelle. Toutefois, une évolution réglementaire favorable a eu lieu en Europe et aux États-Unis dans les dernières années.

Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission a élargi, en 2020, sa définition d’investisseur qualifié au-delà de la notion d’actifs nets et de revenu minimum. Ce changement visait à incorporer une nouvelle catégorie d’accréditation sur la base de certifications, désignations ou titres professionnels délivrés par un établissement accrédité. De plus, The Equal Opportunity for All Investors Act a franchi une étape importante en mai 2023 avec un soutien massif (383-18) à la Chambre des représentants. La proposition a pour objectif d’élargir la définition d’investisseur qualifié pour inclure les individus en mesure de réussir un examen rédigé par la SEC afin de tester les connaissances générales de l’investisseur. On estime que 10 % des foyers sont accrédités à l’heure actuelle.

En Europe, nous voyons l’émergence accrue de la structure European Long-term Investment Fund (ELTIF)[3] pour faciliter la démocratisation des placements privés, surtout depuis la mise en force de la version révisée (ELTIF 2.0) en début d’année. Celle-ci a donné accès au programme à des fonds ouverts, et l’introduction du concept des fonds de fonds permet d’y ajouter autant des investissements directs que des fonds privés. Ces véhicules d’investissement simplifient l’administration, tout en étant fortement réglementés, et offrent l’accès à une participation minimum de 10 000 €, ce qui facilite l’offre à plus grande échelle.

Surmonter les obstacles

Afin de mieux saisir les perspectives en matière d’accès aux placements privés pour les investisseurs individuels, nous avons analysé trois des principaux freins à la démocratisation de cette classe d’actifs.

1. Complexité des structures et des mécanismes de fonds

La complexité liée à la gestion d’allocation à travers des fonds fermés a été atténuée par la croissance significative des fonds ouverts. Un fonds ouvert élimine la notion d’engagement et la gestion des flux monétaires est souvent simplifiée, étant donné que la plupart des fonds gèrent les distributions réalisées en les réinvestissant dans d’autres actifs privés. Le client est chargé de décider de son allocation initiale, tandis que le gestionnaire du véhicule d’investissement prend en charge son maintien (y compris sa croissance) en planifiant les réinvestissements. En résumé, la charge de gestion de l’allocation du portefeuille est alors remise dans les mains du gestionnaire, qui possède l’expertise nécessaire pour le faire.

2. Illiquidité de la classe d’actifs

Le manque de liquidité reste généralement un défi pour les particuliers, et le marché s’est adapté en proposant des structures offrant des occasions de rachat à une fréquence prédéterminée. Bien que le terme « fonds semi-liquide » soit parfois utilisé, nous soutenons l’idée qu’il ne faut pas altérer la nature de la classe d’actifs.

Il est vrai que ces fonds offrent un accès à la liquidité pour la clientèle individuelle par le biais de mécanisme de rachat, mais il convient de mentionner qu’ils ne sont généralement pas garantis dans un délai fixe.[4] Ainsi, il est important de reconnaître que cette classe d’actifs demeure tout de même relativement illiquide. En d’autres termes, l’horizon de placement est un facteur primordial dans la détermination du pourcentage d’exposition alloué aux placements alternatifs.

3. Exigence financière

La mise en place d’outils et de firmes servant d’intermédiaire, comme iCapital, a permis de faciliter une gestion à fort volume générée par l’offre à la clientèle individuelle. Cela a permis de réduire la taille d’investissement minimum à 10 000 $-25 000 $ dollars, bien en deçà de la limite usuelle de 10 millions $ dans les fonds fermés.

Conclusion

Bien qu’il reste encore du chemin à parcourir, les efforts visant à démocratiser l’accès aux placements privés progressent. Longtemps réservés aux investisseurs institutionnels, ils s’ouvrent désormais à un plus grand nombre d’investisseurs. Peut-être est-il temps de réfléchir à la manière d’ajuster la construction de votre portefeuille pour inclure des investissements alternatifs, compte tenu des avantages pouvant réduire la volatilité de votre portefeuille global et diversifier vos sources de rendement.

Si vous vous questionnez quant à la pertinence d’intégrer des placements alternatifs dans votre plan de retraite, n’hésitez pas à en discuter avec votre conseiller financier.

[1] Bain & Company, Why Private Equity is Targeting Individual Investors, 27 février 2023
[2] Il existe plusieurs critères établis en fonction de la valeur nette totale de l'investisseur et/ou d'un revenu annuel moyen minimum
[3] Type de cadre d'investissement collectif permettant aux investisseurs de placer de l'argent dans des entreprises et des projets ayant besoin de capitaux à long terme. Ils sont conçus pour augmenter la quantité de financement non bancaire disponible pour les entreprises investissant dans l'économie réelle de l'Union européenne. Au moins 70 % doivent être investis dans des opportunités non cotées.
[4] Un mécanisme de plafonnement (gate) est mis en place pour limiter les demandes de liquidité. Par exemple, un plafond de 5 % signifie que l’ensemble des demandes de rachats ne peut excéder 5 % de la valeur marchande du fonds.

Marie-Hélène Naud

Directrice sénior, développement et gestion de portefeuilles, équité privée et infrastructure

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