Décoder l’or : Catalyseurs de prix et occasions d’investissement

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De vestige à résilience : un plaidoyer intemporel pour l'or

L’or n’est plus un simple vestige des anciens systèmes monétaires; il s’est réaffirmé comme un pilier essentiel de la construction de portefeuilles modernes. Depuis le début 2024, le métal jaune figure parmi les actifs financiers les plus performants au monde, en hausse tant sur une base nominale que réelle. Au quatrième trimestre de l’année dernière, le niveau ajusté pour l’inflation de l’or a atteint un sommet, marquant ainsi un nouveau chapitre de sa longue histoire en tant que valeur refuge.

Ce qui rend la remontée de l’or depuis 2022 particulièrement frappante, c’est qu’elle défie la logique macroéconomique traditionnelle. Les taux d’intérêt réels ont grimpé, le dollar américain est demeuré résilient, et pourtant, l’or a grimpé en flèche. Sa performance suggère que des forces structurelles et comportementales plus profondes sont en jeu, reflétant le scepticisme des investisseurs envers les monnaies officielles après une période de forte inflation, de troubles géopolitiques croissants, et d’un rééquilibrage des préférences en matière de réserves mondiales. Alors que les investisseurs réévaluent les risques dans un monde marqué par des divergences politiques et des changements dans les rapports de force, l’or apparaît comme un actif stratégique appelé à jouer un rôle important dans les portefeuilles diversifiés.

L’or à travers les âges : d’ancrage monétaire à protection macroéconomique

L’histoire financière de l’or en est une de confiance. Dès 600 avant J.-C., on frappait les premières pièces d’or dans l’ancien royaume de Lydie, en Turquie actuelle, donnant officiellement naissance à l’or comme moyen d’échange. Pendant plus de deux millénaires, l’or a soutenu les systèmes de commerce et de crédit, pour culminer avec l’étalon-or du 19 siècle et l’ère de Bretton Woods au 20 siècle, lorsque les devises étaient indexées sur le dollar américain, et le dollar sur l’or.

Cette ère a pris fin en 1971 avec la suspension de la convertibilité du dollar. Depuis, l’or flotte librement, sans perdre sa pertinence.

Au contraire, il s’est transformé en un actif polyvalent : une couverture contre les crises, un amortisseur contre l’inflation, un diversificateur de portefeuille et une police d’assurance géopolitique. L’or n’inclut pas de prime de risque (contrairement aux actions et aux obligations), mais il tend à servir de couverture dans les scénarios où les actifs assortis d’une prime de risque enregistrent de mauvaises performances.

Pour les responsables d’allocation d’actifs, le point à retenir est ceci : l’absence de rendement intrinsèque n’est pas une faiblesse de l’or, mais une caractéristique. C’est l’un des rares actifs qui n’est adossé à aucun passif de tiers. Dans un monde où le risque de contrepartie, qu’il soit souverain ou institutionnel, ne peut plus être tenu pour acquis, cette caractéristique devient de plus en plus précieuse.

Qu’est-ce qui influence le cours de l’or aujourd’hui ?

L’or se comporte moins comme une matière première et davantage comme une monnaie : durable, rare et très liquide. Contrairement au pétrole ou au cuivre, l’or n’est pas consommé. Presque chaque once extraite existe encore sous une forme ou une autre, que ce soit dans des coffres-forts, sous forme de bijoux ou dans des fonds négociés en bourse. Par conséquent, son prix n’est pas déterminé par le coût marginal de production, mais par les variations marginales de la demande, de la confiance et de la perception.

Le casse-tête des taux réels

Les taux d’intérêt réels (taux nominaux moins l’inflation) ont traditionnellement exercé une forte influence sur les cours de l’or. Lorsque les taux réels sont bas ou négatifs, le coût d’opportunité lié à la détention d’or diminue, ce qui renforce son attrait. La relation inverse entre les taux réels et l’or est bien documentée.

Mais les dernières années ont brouillé les cartes. Depuis 2022, les taux réels américains ont grimpé, mais l’or a continué de progresser. La corrélation s’est affaiblie, voire brisée. Cette divergence suggère que l’or réagit désormais davantage à des facteurs qui ne sont pas liés aux taux d’intérêt, comme les excès budgétaires, les tensions géopolitiques et l’érosion de la confiance envers les institutions.

Plus récemment, la corrélation inverse avec les taux réels a montré des signes de renaissance, notamment en réponse à la volatilité des taux. Cela signifie que l’or réagit à nouveau de manière tactique aux fluctuations des taux réels, mais dans le cadre d’un changement stratégique plus large.

Les banques centrales : acheteurs stratégiques

Les stocks constitués par les banques centrales constituent le facteur le plus important, mais aussi le plus sous-estimé, de la hausse du cours de l’or. Selon le World Gold Council, la demande des banques centrales a atteint son niveau le plus élevé en 30 ans en 2024, les institutions des marchés émergents menant la charge. Ce changement n’est pas un pari spéculatif, mais une réallocation à long terme des portefeuilles afin de réduire l’exposition aux monnaies fiduciaires.

La guerre entre la Russie et l’Ukraine a accéléré cette tendance. Pour de nombreux pays, notamment ceux confrontés à des tensions géopolitiques avec l’Occident, l’or sert de réserve neutre, à l’abri des sanctions. Malgré une certaine modération de ses achats officiels récemment, probablement en raison des prix élevés, la Chine demeure structurellement engagée dans l’accumulation d’or. Cette demande des autorités monétaires devrait persister. À l’ère des largesses budgétaires américaines, de la multipolarité géopolitique et de l’instrumentalisation croissante des infrastructures financières par les États-Unis, l’or est l’un des rares actifs véritablement apolitiques qui subsistent sur la planète.

Le risque budgétaire et l’érosion de la crédibilité du dollar

Le déficit budgétaire croissant des États-Unis représente un autre catalyseur structurel. En 2024, les États-Unis ont enregistré un déficit bien supérieur à 2 000 milliards de dollars, sans plan de consolidation crédible. Les investisseurs intègrent de plus en plus une prime de risque budgétaire dans leurs valorisations, non seulement pour les obligations du Trésor américain, mais aussi pour le dollar lui-même.

L’or étant libellé en dollars américains, un billet vert structurellement plus faible renforce l’attrait de l’or pour les investisseurs étrangers. En outre, la perception selon laquelle la dette américaine pourrait être monétisée (que ce soit par le biais d’un assouplissement quantitatif explicite ou d’une répression financière implicite) renforce l’attrait de l’or comme couverture contre la dilution de la monnaie fiduciaire.

Véhicules d’investissement : du lingot au bêta

L’exposition à l’or peut être obtenue par le biais de multiples canaux, chacun avec des profils risque-rendement différents :

  • Or physique (lingots, pièces) : ultime valeur refuge, il est toutefois illiquide et coûteux à stocker.
  • FNB liés à l’or : ils offrent une exposition liquide et à faible coût au prix au comptant de l’or (spot).
  • Contrats à terme : ils permettent un positionnement tactique, mais nécessitent une gestion active.
  • Actions de producteurs aurifères : elles offrent un levier sur le prix de l’or et des rendements typiques d’actions.

Les actions de producteurs aurifères méritent particulièrement un intérêt renouvelé de la part des investisseurs. Bien que les résultats des sociétés aurifères aient été généralement faibles sur une base historique, en raison de décisions d’allocation de capital peu judicieuses, le secteur a gagné en maturité. Les bilans sont plus sains, la discipline en matière de capital s’est améliorée et les ratios de rendement des capitaux propres ont rebondi.

Les sociétés aurifères canadiennes : des occasions à plusieurs niveaux

En général, les titres aurifères ont tendance à afficher une plus grande volatilité que l’or lui-même. Cependant, le bêta des actions aurifères a diminué par rapport aux niveaux historiques, ce qui a réduit la sensibilité aux fluctuations du prix de l’or.

Cette évolution peut s’expliquer en partie par le fait que les sociétés ont considérablement réduit leur endettement et leur levier financier et opérationnel par rapport aux cycles précédents.

Le Canada offre une gamme complète de titres pour exposer un portefeuille à l’industrie aurifère. Chaque catégorie représente une étape différente du cycle de vie minier, avec des niveaux de risque et de rendement variables.

  • Producteurs de premier plan : ces sociétés bien établies exploitent plusieurs mines et disposent d’une capacité de production importante. Elles ont généralement des flux de trésorerie stables et un profil de risque plus faible, en plus d’être bien capitalisées. Ces producteurs se concentrent sur le maintien et l’expansion de leurs activités tout en offrant des rendements constants aux investisseurs. Risque plus faible, bêta plus faible.
  • Petites et moyennes capitalisations : ces producteurs ou développeurs de plus petite taille possèdent une ou plusieurs mines en exploitation. Ils sont souvent en phase de croissance, cherchant à accroître leur production ou à développer de nouveaux projets. Ces sociétés présentent des risques plus élevés que les producteurs de premier plan, mais elles offrent un potentiel de croissance plus important, ce qui les rend attrayantes pour les investisseurs à la recherche de rendements plus élevés. Risque plus élevé, potentiel de rendement plus élevé.
  • Explorateurs : ces sociétés en phase de démarrage n’ont pas de production ni de mines en exploitation, et leur succès dépend de la découverte de nouveaux gisements minéraux économiquement viables. Avec la remontée des cours de l’or, une longue liste de projets devrait renaître, dont plusieurs ayant causé la faillite de sociétés ou n’ayant pas abouti en raison de diverses difficultés. Risque extrêmement élevé qui pourrait ne pas convenir aux investisseurs particuliers.

Depuis 2020, le secteur canadien de l’exploitation aurifère s’est considérablement désendetté. Les entreprises qui s’étaient surendettées lors de la vague de fusions-acquisitions de 2010-2012 sont désormais plus légères et plus disciplinées. En 2024, la hausse des cours de l’or a stimulé les flux de trésorerie disponibles, incitant de nombreuses entreprises à augmenter les rendements pour leurs actionnaires par le biais de rachats d’actions et de dividendes.

Les sociétés minières canadiennes sont bien positionnées pour enregistrer des rendements supérieurs si la hausse de l’or se poursuit. Toutefois, la sélection de titres demeure essentielle, car les projets issus des cycles précédents, dont la qualité est inégale, referont surface.

Allocation stratégique : le rôle de l’or dans un portefeuille moderne

L’or n’est ni un actif de croissance ni une source de revenu. Mais il excelle dans une fonction : protéger contre l’incertitude. Lorsqu’une rupture des relations historiques entre les actifs traditionnels se produit — comme ce fut le cas en 2022 avec la chute simultanée des obligations et des actions —, l’or a tendance à prendre le relais.

Par exemple, lors de la plupart des récessions américaines depuis le début des années 1971 (lorsque la convertibilité du dollar en or a été abandonnée), l’or a surpassé les obligations du Trésor américain, offrant un meilleur rapport qualité-prix comme couverture contre les ralentissements économiques.

Mais les récessions ne sont pas toutes identiques, et les actifs ne réagissent pas de la même manière à chaque récession.

Nos travaux sur l’histoire des élections américaines montrent que l’or génère ses meilleurs rendements, et de loin, lorsque le pays traverse une récession structurelle, période durant laquelle les déséquilibres à long terme sont corrigés. L’éclatement de la bulle technologique et la crise financière de 2008, qui ont respectivement entraîné une hausse de 16 % et 25 % du cours de l’or, en sont de parfaits exemples.

En résumé, la faible corrélation de l’or avec les actifs financiers, en particulier en période de tension, en fait un rare stabilisateur de portefeuille. Cet atout est particulièrement intéressant pour les institutions qui recherchent la robustesse dans des scénarios extrêmes.

Pour les investisseurs particuliers, les FNB liés à l’or offrent un moyen liquide et accessible de diversifier leur portefeuille. Pour les profils plus audacieux, les actions des producteurs aurifères offrent un potentiel de hausse, mais nécessitent une tolérance aux baisses associées aux marchés boursiers.

Conclusion : la renaissance discrète de l’or

Le discours autour de l’or évolue. Ce qui était autrefois considéré comme un placement lié à la peur ou une couverture contre l’apocalypse est désormais considéré comme une allocation rationnelle et stratégique en période de profonde incertitude macroéconomique.

Le marché n’achète pas seulement de l’or; il contracte une assurance contre l’effondrement des règles qui régissent les marchés financiers depuis des décennies. Des taux réels à la crédibilité du dollar, en passant par l’ordre géopolitique et la confiance institutionnelle, les fondements sont remis en question. Dans ce contexte, l’or offre ce qu’aucun autre actif ne peut offrir : une crédibilité sans contrepartie.

Notre point de vue : maintenir une exposition structurelle de 5 à 10 % à l’or dans les portefeuilles diversifiés, la réévaluer lors des pointes de volatilité et envisager les actions aurifères pour une convexité accrue. En 2025, l’or pourrait non seulement servir à préserver les patrimoines, mais aussi révéler les failles de confiance dans le système.  

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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Alex Bellefleur

Vice-président sénior, chef de la recherche, allocation d’actifs

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David Caron

Directeur sénior, gestionnaire de portefeuilles, actions nord-américaines

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