Perspectives sur le marché immobilier au Canada

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Une bulle prête à éclater?

L’augmentation exceptionnelle des prix immobiliers au Canada

Le marché immobilier canadien retient l’attention internationale depuis près de 20 ans.

Le magazine The Economist, par exemple, nous rappelle régulièrement que le prix réel des maisons au Canada a évolué bien différemment de celui des autres pays du G-7.

Les prix des maisons ont explosé depuis le début de 2020. Leur augmentation a alimenté la croissance économique, causé un effet de richesse considérable et soutenu l’économie pendant la reprise qui a suivi la pandémie.

Selon la Banque du Canada, la valeur nette du ménage canadien moyen a bondi de 250 000 $ pendant la pandémie, dont 150 000 $ s’explique uniquement par l’actif immobilier.

Malheureusement, l’augmentation significative des prix immobiliers a entraîné des risques accrus pour la stabilité de l’économie. Tel qu’illustré dans le tableau ci-dessous, que ce soit les ratios prix immobiliers-revenu et prix immobiliers-loyers, ou la croissance du crédit dans le secteur privé, le Canada trône plus souvent qu’autrement au sommet de la liste. Le signal envoyé par ce tableau est simple: au cours des sept dernières années, les prix des maisons au Canada ont connu une hausse cyclique plus forte que dans la majorité des pays comparables.

De nombreux indicateurs sonnent l’alarme et il existe plusieurs raisons d’être préoccupés par l’état du marché immobilier au Canada.

Et maintenant, la grande question : y a-t-il une bulle immobilière au Canada? Il est important de répondre à cette question, car une bulle éclate sans avertissement et lorsque c’est le cas, les effets peuvent être considérablement néfastes.

L’importance du marché immobilier au Canada

L’économie canadienne est tout particulièrement vulnérable à un ralentissement du secteur immobilier.

Le ratio des investissements résidentiels par rapport au PIB du Canada a surpassé 10 % au cours de la dernière année, soit le niveau le plus élevé parmi les pays du G-7, atteignant près de 250 milliards $ en 2021 seulement. Sur une base relative, il s’agit environ du double des données équivalentes aux États-Unis.

Il est important de souligner que le marché de l’immobilier résidentiel ne se résume pas seulement à la construction et à la rénovation.

Les coûts de transfert de propriétés, y compris les honoraires des agents immobiliers, les taxes sur les transferts fonciers et les autres coûts de transaction s’additionnent, représentant environ 2,5 % du PIB canadien en 2021. Ces composantes devraient vraisemblablement diminuer en tandem avec l’activité du marché et constituer un obstacle à la croissance économique même si les activités de construction et de rénovation demeurent résilientes.

Au vu de l’importance accrue des activités liées au marché immobilier, l’économie canadienne est plutôt sensible à l’évolution des taux d’intérêt. Ainsi, les pressions cycliques pourraient nuire à la stabilité financière du Canada.

Outre ces considérations purement économiques, l’immobilier a aussi des répercussions sociales. L’accessibilité au logement peut créer des inégalités démographiques, surtout chez les plus jeunes qui font face à un ratio prix-revenu beaucoup plus important. Plusieurs ménages canadiens ne peuvent que rêver de posséder une propriété. Cette inégalité compromet la prospérité à long terme du pays, mais aussi le bien-être collectif. Il est donc primordial de bien comprendre les vecteurs sous-jacents du marché immobilier, au-delà des raisons strictement économiques.

Il n’y a pas de bulle sur le marché immobilier

Certes, le marché immobilier a atteint des niveaux excessifs à plusieurs reprises au cours des dernières décennies, mais nous ne croyons pas être dans une bulle immobilière. En fait, nous estimons que nous ne l’avons pas été depuis 2010, contrairement à ce que prétendent certains.

Cela n’écarte pas pour autant la possibilité que le marché immobilier connaisse des difficultés. En effet, le risque d’une correction – et d’impacts négatifs sur la croissance économique du Canada – est plutôt élevé pour l’instant.

Premièrement, tout est une question de démographie

Une analyse du marché immobilier doit débuter par les facteurs démographiques. Dans le recensement de 2018, le taux de croissance de la population canadienne figurait au sommet des pays développés. Soulignons qu’environ 80 % de cette croissance provient de l’immigration.

Le Canada est non seulement une destination de choix pour les immigrants, mais nous nous démarquons aussi par notre capacité à attirer les plus instruits d’entre eux. Selon les données de l’OCDE, environ 60 % des citoyens Canadiens âgés de 15 à 64 ans et qui sont nés à l’étranger possèdent un diplôme post-secondaire, ce qui est nettement supérieur aux plus proches concurrents.

Grâce à leur niveau d’instruction, les immigrants sont davantage en mesure d’obtenir un emploi et, par ricochet, d’acquérir une maison.

Le profil démographique favorable du Canada agit en tant qu’arme secrète qui alimente et stabilise la croissance économique. Malheureusement, il a aussi propulsé les prix immobiliers à des niveaux relativement élevés et rendu l’économie canadienne plus vulnérable à la hausse des taux d’intérêt et à toute accalmie sur le plan migratoire.

Tout se termine avec la hausse des taux?

Un autre élément important qui a dopé les prix immobiliers au cours des dix dernières années est la baisse généralisée des taux hypothécaires.

Afin de saisir les effets des taux hypothécaires sur le secteur immobilier canadien, il faut bien comprendre la dynamique du refinancement.

Au premier trimestre 2022, 71 % des emprunteurs hypothécaires détenaient un prêt à taux fixe, qui est généralement de cinq ans. Bien que cette donnée soit élevée, elle est quelque peu inférieure à la moyenne historique d’environ 80 %.

Le marché hypothécaire canadien est donc dominé par une cuvée d’emprunteurs qui renouvellent leur prêt chaque cinq ans.

La variation sur cinq ans des taux hypothécaires à taux fixe sur la même période est donc une variable déterminante. Une valeur négative signifie qu’une cuvée d’emprunteurs refinance leur hypothèque à des taux moins élevés que le taux précédent et un taux supérieur signifie que les coûts d’intérêt seront plus élevés.

Évidemment, le solde du prêt diminue au fil du temps, réduisant ainsi l’impact de taux d’intérêt supérieurs. En réalité, l’augmentation potentielle du coût global de la propriété pourrait nuire aux propriétaires existants.

Pour la période de 30 ans se terminant au deuxième trimestre 2022, le cycle de refinancement a été caractérisé par des coûts d’intérêt peu élevés, ce qui a soutenu la hausse des prix. Les emprunteurs qui refinancent leur hypothèque dans la conjoncture actuelle de forte hausse des taux par la Banque du Canada sont confrontés à une hausse d’environ 1,5 % par rapport à leur taux fixe précédent, d’où des versements mensuels supérieurs.

Immobilier et spéculation

Pendant la pandémie de COVID en 2020 et 2021, les taux d’intérêt étaient à des creux historiques et la liquidité était abondante. Ces deux facteurs ont probablement été déterminants pour stimuler la hausse des prix des maisons, tout comme les confinements et l’émergence du télétravail, qui ont créé un besoin d’espace supplémentaire pour de nombreux Canadiens.

L’immobilier étant très sensible aux taux d’intérêt et enclin à des transactions spéculatives, les nombreux cas anecdotiques d’effervescence sur le marché ne sont pas surprenants, comme les histoires de guerres d’enchères et les reventes anormalement fréquentes.

Y a-t-il un parallèle avec d’autres classes d’actifs spéculatives?

En portant notre regard sur la récente flambée des prix de la cryptomonnaie et de l’indice technologique Nasdaq, nous constatons certaines similarités avec l’évolution des prix immobiliers au Canada et aux États-Unis.

Les prix de l’immobilier résidentiel des deux pays ont rarement été corrélés au cours des dix dernières années, mais ils ont évolué en tandem avec les actifs spéculatifs pendant la COVID. Cela laisse croire que le marché du logement a été frappé par la même vague spéculative alimentée par des taux peu élevés et l’abondance de liquidités.

Peu importe si l’activité de spéculation est responsable de l’augmentation de plus de 50 % du prix moyen d’une maison au Canada entre 2019 et le début 2022, on peut s’attendre à un recul partiel des prix sous l’effet de la hausse des taux hypothécaires et du resserrement des conditions de liquidités.

Immobilier et stabilité financière

Indépendamment des facteurs mentionnés ci-dessus, si une bulle immobilière venait à éclater, les contribuables canadiens seraient probablement contraints de payer la note, car la SCHL garantit des hypothèques pour un montant total de 400 milliards $.

Certains signes sont toutefois prometteurs. Un plus faible appétit envers l’endettement et la hausse du prix des maisons existantes ont poussé le ratio de capital (la proportion des maisons qui n’est pas financée par une hypothèque) des propriétaires canadiens à 77,2 % au premier trimestre de 2022, soit un sommet depuis plus de 30 ans (début 1990) et une donnée supérieure à la moyenne historique de 72,5 %.

Le fort taux de capitalisation du marché immobilier canadien est d’une grande importance, car il contribue à la stabilité financière dans l’éventualité d’un repli des prix des maisons. Autrement dit, il est peu probable d’observer un effondrement du marché canadien comme celui qui est survenu aux États-Unis en 2008.

Où nous dirigeons-nous maintenant?

En conclusion de notre analyse, les prix immobiliers sont certainement élevés à l’heure actuelle, mais le risque d’éclatement d’une bulle immobilière est très faible. Voici nos scénarios les plus probables pour les 2 à 3 prochaines années.

Scénario 1 : Stagflation – probabilité de 40 %

Dans ce cas, l’inflation reste élevée et ne descend pas sous les 3 % avant le premier semestre de 2024.

La Banque du Canada est contrainte de relever son taux à un jour entre 4 et 4,5 % en 2023, ce qui a pour effet de freiner l’économie et la croissance.

Nous traversons alors une période de stagflation, qui durera de 12 à 18 mois. Les ménages et les entreprises perdent confiance, mais nous n’assistons pas à des licenciements massifs.

Un effondrement du marché immobilier est évité. Par contre, les prix subissent d’importantes pressions baissières et reculent de 20 à 30 %, ce qui représente une chute significative, mais pas suffisante pour annuler les gains enregistrés depuis 2019.

Il s’agit de notre scénario de base avec une probabilité de 40 %.

Scénario 2 : Inflation persistante et atterrissage brutal : probabilité de 25 %

L’inflation reste plus persistante que prévue. Le taux d’inflation global demeure supérieur à la fourchette de 1 à 3 % de la Banque du Canada jusqu’en 2025, d’où un resserrement additionnel de sa politique monétaire à 5 % d’ici la fin 2023.

Dans ce contexte, l’économie plonge en récession, le taux de chômage augmente, le revenu des ménages diminue et les consommateurs perdent confiance.

Les prix immobiliers chutent de 30 à 40 %, effaçant du coup la grande majorité des gains enregistrés depuis 2019.

À notre avis, ce scénario secondaire a une probabilité d’environ 25 %.

Scénario 3 : Diminution de l’inflation et atterrissage en douceur : probabilité de 20 %

Dans ce scénario, l’inflation globale atteint les sommets de juin 2022, pour ensuite redescendre près du taux cible de la Banque du Canada, et franchissant la barre des 3 % à la fin 2023.

La banque centrale canadienne réussit un atterrissage en douceur et met fin au processus de resserrement monétaire l’année prochaine. Elle relève le taux à un jour à 4,0 % et le conserve à ce niveau en 2023.

Les prix immobiliers se stabilisent à des niveaux de 10 à 15 % inférieurs au sommet de 2022, ce qui permet de cristalliser une partie des gains inscrits depuis la fin 2019.

Nous attribuons une probabilité de 20 % à ce scénario secondaire.

Scénarios Alternatifs : L’augmentation des prix se poursuit – probabilité de 15 %

Les perspectives des prix immobiliers sur un horizon de 2 à 3 ans demeurent nettement à la baisse, mais certaines pressions inflationnistes restent omniprésentes.

La croissance démographique, par exemple, pourrait s’accélérer au cours des prochaines années dans l’éventualité d’une révision à la politique d’immigration ou de perturbations dans l’économie mondiale (nouvelle pandémie, accroissement des tensions géopolitiques, conflits armés, entre autres), contraignant ainsi les banques centrales à changer rapidement leur fusil d’épaule et à abaisser leur taux directeur, d’où un vecteur favorable à l’augmentation des prix immobiliers.

Nous estimons la probabilité combinée de ces scénarios à 15 %.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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