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Macro & Stratégie - Avril 2024

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Le défi de se positionner pour Trump 2.0

L’élection américaine prévue pour le 5 novembre est encore loin, et les marchés mondiaux devraient davantage évoluer en fonction des décisions de la Réserve fédérale que des développements politiques pendant plusieurs mois. Néanmoins, compte tenu des nombreuses politiques potentiellement perturbatrices qui pourraient caractériser une présidence Trump 2.0, nous avons jeté un premier regard sur les principaux enjeux et, surtout, sur diverses façons de se positionner pour y faire face le moment venu.

Pourquoi la prochaine élection est-elle si importante ?

Comme les propositions du président Trump divergent de celles du président Biden sur le plan des idées et des enjeux clés, nous pensons qu’une deuxième présidence Trump impliquerait une refonte importante du gouvernement, dont l’impact serait sans doute plus substantiel que lors de son premier mandat.

Même si chaque élection américaine est susceptible d’avoir des répercussions économiques considérables, la prochaine pourrait être encore plus importante, étant donné l’utilisation accrue de la politique fiscale en tant qu’outil économique sous les deux candidats.

Qu’il s’agisse des baisses d’impôts de Trump en 2017, des programmes de relance adoptés lors de la pandémie ou de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) de Biden en 2022, les deux présidents ont eu davantage recours à la politique budgétaire que leurs prédécesseurs. En fait, à peu près au moment où les réductions d’impôts de Trump sont entrées en vigueur en 2017, la relation historique entre le dynamisme du marché de l’emploi et la taille du déficit a commencé à se rompre. Comme illustré cidessous, le taux de chômage et le déficit budgétaire ont suivi des trajectoires divergentes au cours des deux derniers mandats présidentiels.

De plus, la coordination (ou son absence) entre la politique fiscale et la politique monétaire compte beaucoup pour les investisseurs. Nous pensons que cette question serait plus importante dans une seconde présidence Trump, par opposition à une seconde administration Biden, en raison de la probabilité d’un conflit entre Trump et la Fed.

Les quatre axes principaux d’une présidence Trump 2.0

Lorsque nous considérons les principaux axes politiques d’une présidence Trump, nous avons tendance à penser à quatre piliers centraux :

  1. La politique climatique et la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) : Cette réalisation clé de Biden devrait fournir plus de 400 milliards de dollars de financement sur 10 ans pour la fabrication et le déploiement d’énergies propres. Même si Trump a promis d’abroger l’IRA, nous pensons qu’il est plus probable qu’il la dilue en modifiant les directives de financement et les programmes de dépenses. Notre raisonnement est simple : 60 % des investissements dans l’éolien, le solaire et le stockage et 90 % des investissements dans les batteries sont dirigés vers des États républicains ou des États clés pour l’élection présidentielle.
  2. Le retrait potentiel de l’accord États-Unis- Mexique-Canada (USMCA) et le retour de « Tariff Man » : Le commerce a été au coeur du premier mandat de Trump, et il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en soit de même lors d’un second mandat. La question est de savoir si Trump menacerait à nouveau de se retirer unilatéralement de l’accord commercial qu’il a lui-même négocié, et même s’il serait légal de le faire sans l’approbation du Congrès (cette question n’a jamais reçu de réponse lors de son premier mandat). Il faut savoir que les trois pays peuvent se retirer à tout moment avec un préavis de seulement six mois et que l’entente doit être renégociée tous les six ans, la première renégociation étant prévue pour 2026.
  3. Des baisses d’impôts, ou au moins une extension : Jusqu’à présent, Trump est resté discret sur la question des impôts, mais on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il prolonge les baisses d’impôts pour les particuliers et les entreprises. La loi sur les réductions d’impôts et les emplois (Tax Cuts and Jobs Act - TCJA) doit expirer au début de 2026, et son éventuelle prorogation sera un facteur déterminant pour les perspectives à long terme du déficit structurel.
  4. Le rôle des États-Unis comme gardien du monde et l’avenir de l’OTAN : Même si Trump n’a pas déclaré publiquement que les États-Unis se retireraient de l’OTAN, il a été rapporté qu’il était enclin à le faire, ou au moins à se retirer de l’Europe. Un retrait total de l’OTAN est devenu moins probable depuis décembre 2023, lorsque le Congrès a ajouté au projet de loi annuel sur les dépenses de défense une disposition qui exige que le Sénat approuve une telle décision présidentielle.

Comment le Canada serait-il affecté ?

Les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis sont profondes : 78 % des exportations de marchandises du pays sont destinées aux États-Unis, un pourcentage impressionnant qui correspond à 21 % du PIB canadien. Les produits énergétiques (plus de 20 % de l’ensemble des exportations canadiennes), les véhicules et les pièces automobiles (10 % du total des exportations) et les biens de consommation (un peu moins de 10 % du total des exportations) sont les principaux produits exportés par le Canada vers les États-Unis.

À cet égard, nous avons quelques raisons de faire preuve d’un optimisme prudent. Tout d’abord, l’USMCA contient une disposition qui exempte les 2,6 premiers millions de véhicules importés du Canada, ce qui limite largement les dommages potentiels d’un changement de politique commerciale aux États-Unis. Deuxièmement, il serait surprenant de voir le nouveau président pousser délibérément les prix de l’essence à la hausse en imposant des droits de douane sur le pétrole canadien. Troisièmement, il est probable que toute dilution de l’IRA rendrait les investissements dans le secteur énergétique canadien relativement plus attrayants.

Néanmoins, il va sans dire que toute dilution ou élimination de l’USMCA serait extrêmement perturbante, en particulier si le traitement favorable dont bénéficie le Canada venait à expirer et que les exportations du pays étaient (même temporairement) exposées à un nouveau droit de douane américain forfaitaire de 10 %. Le gouvernement canadien répondrait alors très probablement par ses propres tarifs, ce qui mettrait encore plus de pression sur les importateurs et les exportateurs canadiens. L’impact économique d’un tel scénario est généralement estimé à 1 % du PIB.

Dans l’ensemble, vu l’importance des États-Unis comme partenaire économique, nous devons aussi prendre en considération le fait que tout changement de politique qui profite à la croissance américaine à court et à moyen terme (comme la prolongation des baisses d’impôts pour les particuliers et les entreprises) profiterait également à la croissance canadienne, directement ou indirectement. L’inclusion d’une clause de salaire minimum pour le secteur de l’automobile, qui a bénéficié à la fois à la production américaine et canadienne, en est un bon exemple.

En ce qui concerne les dépenses de défense, le Canada a été la cible des commentaires de Trump sur les membres « délinquants » de l’OTAN, et la pression pour atteindre l’objectif de 2 % du PIB consacrés annuellement à la défense augmenterait considérablement. Les chiffres de 2023 montrent que le Canada n’est pas très loin de la cible, à 1,3 % du PIB. Reste à voir si la population serait favorable à combler l’écart en coupant ailleurs dans le budget. Il est raisonnable de s’attendre à ce que la pression sur le Canada s’intensifie dans les années à venir.

Enfin, l’immigration est un autre enjeu à prendre en considération. Une position plus ferme des États-Unis augmenterait une fois de plus l’attrait du Canada pour les meilleurs talents, ce qui renforcerait le vent de dos démographique qui souffle actuellement sur le pays (et, incidemment, la pression sur le logement).

Comment se positionner dans ce contexte ?

En soupesant l’ensemble des éléments, nous pensons que les implications des élections américaines de novembre pourraient être importantes. Bien que nous ne recommandions pas de se positionner trop tôt en vue du résultat, voici nos prévisions concernant les réactions du marché.

Premièrement, une abrogation ou une dilution de l’IRA serait probablement négative pour les actions (moins d’investissements mondiaux), mais positive pour les obligations (révision à la baisse des prévisions de croissance mondiale et d’inflation). Au niveau sectoriel, les gagnants potentiels seraient le secteur énergétique canadien, l’énergie conventionnelle et de schiste aux États-Unis, tandis que les projets d’énergie propre aux États-Unis perdraient, bien sûr, une partie de leur éclat. Enfin, le secteur industriel américain serait nettement perdant, de même que les sociétés d’ingénierie et de construction.

Deuxièmement, de nouveaux tarifs commerciaux seraient généralement inflationnistes et négatifs pour les actions et les obligations, même si les actions américaines à petite capitalisation pourraient en bénéficier, compte tenu de leur exposition plus importante à l’économie intérieure. Au niveau sectoriel, la consommation discrétionnaire aux États- Unis pourrait souffrir (propension plus élevée à importer et forte élasticité de la demande par rapport aux prix pour la base de consommateurs), ainsi que le secteur américain des matériaux, qui est sensible au commerce mondial, étant donné l’importance des plastiques, des emballages et des produits chimiques au sein du secteur. Notons que, compte tenu de son orientation nationale, le secteur américain des soins de santé pourrait devenir un gagnant par omission.

Troisièmement, les baisses d’impôts seraient très positives pour les actions, grâce à une demande plus forte (particuliers) et une rentabilité accrue (entreprises), et négatives pour les obligations, en raison d’une croissance nominale plus robuste. Nous nous attendons à ce que les valeurs cycliques bénéficient d’un avantage sur les valeurs défensives et à ce que l’énergie soit gagnante grâce à une demande plus forte. Les petites capitalisations américaines pourraient également en bénéficier, compte tenu de leur exposition à l’économie intérieure.

Quatrièmement, la question de l’OTAN serait probablement neutre pour les actions mondiales, bien qu’elle pourrait être vue comme négative pour les obligations, étant donné la possibilité de pressions inflationnistes accrues découlant d’importantes dépenses militaires en Europe.

Le secteur de la défense serait un gagnant évident, bien que les performances aient été robustes au cours de la dernière année et qu’une partie de l’évolution pourrait déjà être escomptée dans les prix.

Dans l’ensemble, tous ces axes semblent positifs pour le dollar américain en raison de leur dimension nationale.

Une dernière remarque sur l’interaction entre la politique budgétaire et la politique monétaire.

Si Donald Trump poursuivait une politique fiscale très expansionniste (baisses d’impôts prolongées et maintien de dépenses budgétaires élevées parmi ses priorités), pendant que la Fed maintenait une politique monétaire relativement accommodante, nous anticiperions que la courbe de taux s’accentue, avec les rendements les plus élevés dans la partie à long terme de la courbe. Cette situation serait probablement négative pour le billet vert, car les investisseurs pourraient se montrer moins enthousiastes à l’égard des titres du Trésor américain.

À l’inverse, une politique budgétaire souple, associée à une politique monétaire restrictive, a été historiquement positive pour le dollar américain.

Quelles sont nos perspectives actuelles ?

Nos perspectives sont demeurées optimistes sur les actions tout au long du premier trimestre, et elles le demeurent. La vigueur du marché boursier américain a été particulièrement impressionnante dans un contexte où moins de baisses de taux ont été escomptées, des signes de réaccélération de l’inflation de base sont apparus et des changements sont survenus au sein du marché. Bien que trois des « Sept Magnifiques » aient enregistré des rendements négatifs au premier trimestre, d’autres secteurs du marché ont compensé, ce qui indique une rotation interne.

Les récentes hausses dans les secteurs cycliques reflètent également une réaccélération de la croissance économique américaine.

Même si la hausse des valorisations boursières pourrait ralentir au cours des prochains mois, nous pensons que les actions devraient surpasser les obligations pour le reste de l’année, étant donné les perspectives positives pour les bénéfices des entreprises.

Notre point de vue sur les titres à revenu fixe est plus neutre, voire légèrement prudent. L’accent mis par le président de la Fed, Jerome Powell, sur les baisses de taux, malgré la réaccélération de l’inflation de base, signale des défis à venir, car les dernières étapes du processus de désinflation pourraient s’avérer difficiles. Ce contexte pourrait limiter la capacité de la Fed à réduire les taux autant qu’elle le souhaite. Bien que la valorisation des obligations à haut rendement semble étirée, nous avons revu notre opinion à la hausse. En effet, nous ne voyons pas de catalyseur immédiat de faiblesse compte tenu du regain économique aux États-Unis.

De plus, la surperformance continue de l’économie américaine soulève des questions sur les taux restrictifs actuels et pourrait éventuellement conduire à une réévaluation des estimations des taux neutres à long terme.

Bien que les rendements réels soient relativement attrayants, les obligations, aux niveaux de rendement actuels, peuvent constituer une protection efficace contre les chocs imprévus. Par conséquent, nous avons maintenant une opinion légèrement négative sur les obligations gouvernementales.

Nous réitérons également notre vue positive sur l’or, qui offre une protection efficace contre l’inflation et a fait preuve de résilience en dépit de facteurs historiques négatifs. Malgré des rendements réels qui ne baissent pas et la vigueur du dollar américain, l’or est parvenu à générer de solides rendements. Les achats continus des banques centrales mondiales en réponse à l’attaque de l’Ukraine par la Russie et une inflation supérieure à la cible sont des éléments qui soutiennent la force de l’or.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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