Macro & Stratégie - Décembre 2024

Commentaires mensuels

Lire l'article complet (PDF)open_in_new

Retour en force : Trump, l'élection et les marchés

L’élection américaine est désormais derrière nous, et la victoire résonante des républicains laisse présager un bouleversement profond dans le paysage politique et économique.

Avec le retour de Donald Trump à la présidence après une victoire décisive – il a remporté tous les États pivots et le vote populaire – l’administration s’apprête à mettre en œuvre un programme politique qui pourrait remodeler le paysage économique américain et mondial. Après avoir fait campagne sur des promesses de réforme fiscale, de déréglementation et de politique commerciale agressive, le président élu Trump s’est empressé, dès novembre, de nommer des partisans d’une ligne dure à des postes clés de son administration, signe que son programme économique sera probablement mis en œuvre rapidement et avec détermination.

Le programme économique de Trump

Politique fiscale et perspectives de croissance

Au cœur de la stratégie économique de l’administration Trump figure un nouveau programme de réforme de l’impôt sur les sociétés.

Bien que le président Trump ait réduit le taux d’imposition des entreprises lors de son premier mandat (le réduisant de 35 % à un niveau compétitif de 21 %), ce taux devrait encore être abaissé à 15 %. Cette mesure viserait à stimuler l’investissement et encourager la relocalisation de la production. Ces réductions profiteraient principalement aux petites et moyennes entreprises ayant des capacités limitées en matière d’optimisation fiscale internationale, soutenant potentiellement la croissance économique américaine en stimulant l’emploi et la demande des consommateurs.

Bien que les baisses d’impôts devraient stimuler la croissance du PIB, elles présentent également des risques pour les déficits budgétaires. Les estimations suggèrent qu’au cours de la prochaine décennie, ces baisses pourraient accroître de 1 000 milliards $ US un déficit fédéral déjà lourd, en supposant qu’aucune réduction des dépenses ne vienne compenser ces baisses.

Une telle expansion budgétaire soulève des questions de durabilité, étant donné les projections préoccupantes de la dette du Congressional Budget Office (CBO), qui n’incluent même pas les impacts potentiels des politiques de la nouvelle administration.

Réinitialisation de la politique commerciale : la Chine et l’Europe dans le viseur

La politique commerciale de l’administration Trump s’apprête à bouleverser la dynamique actuelle des marchés. La Chine demeure la cible principale, compte tenu des accusations de vol de propriété intellectuelle et de manipulation des marchés. De nouveaux tarifs douaniers ou contrôles des exportations pourraient faire pression sur la Chine pour qu’elle négocie, mais risqueraient de raviver les tensions commerciales mondiales.

L’Europe, et particulièrement son secteur automobile, est également dans la ligne de mire de l’administration. Les négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne pourraient aboutir à une augmentation des importations européennes de produits américains – notamment dans l’énergie et l’agriculture – modifiant ainsi la balance commerciale en faveur des États-Unis.

Les États-Unis devraient également rallier leurs alliés occidentaux pour créer un front commun contre l’influence économique croissante de la Chine, marquant un possible changement de paradigme dans les relations commerciales mondiales. Les perspectives commerciales se sont assurément embrouillées et demeurent la principale source d’incertitude pour les investisseurs.

Réduction de la taille de l’État et déréglementation

En parallèle des réformes fiscales, il est attendu que l’administration Trump intensifiera ses efforts pour réduire l’intervention gouvernementale dans tous les secteurs d’activité.

Cela comprend la rationalisation des agences fédérales, la réduction des coûts de conformité pour les entreprises et la priorisation de l’indépendance énergétique. Bien que l’allègement du fardeau réglementaire puisse dynamiser la productivité dans des secteurs comme l’énergie, la finance et l’industrie manufacturière, les détracteurs estiment que cela risque d’aggraver les risques environnementaux et sociaux.

Le positionnement unique du Canada

Résilience dans le cadre de l’ACÉUM

Le Canada reste bien protégé des aspects les plus perturbateurs du programme commercial de Trump grâce aux garanties de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM). Des dispositions clés, comme l’exemption des exportations automobiles canadiennes des tarifs de l’Article 232, procurent un avantage significatif par rapport à l’Europe et l’Asie.

Leçons de 2018 : l’héritage des négociations de l’ACÉUM

Les lecteurs se souviendront que la négociation de l’ACÉUM en 2018 couvrait un large éventail de points, quoique ceux-ci ne devraient pas être renégociés cette fois. En guise de rappel, les points majeurs ci-dessous ont été traités à l’époque et ne devraient pas faire l’objet d’une révision approfondie :

Règles d’origine pour le secteur de l’automobile : augmentation du pourcentage de pièces fabriquées en Amérique du Nord pour bénéficier d’une tarification nulle et exigence qu’un certain pourcentage du contenu des véhicules soit fabriqué par des travailleurs gagnant au moins 16 $ US l’heure.

Protection de la propriété intellectuelle : renforcement des protections des brevets et des marques de commerce, y compris pour les médicaments biologiques.

Mécanismes de résolution des différends : maintien du mécanisme de résolution des différends du Chapitre 19 pour les droits antidumping et compensateurs, et introduction de nouveaux mécanismes pour résoudre les différends liés aux normes du travail et environnementales.

Clause crépusculaire : mise en place d’une clause d’extinction de 16 ans avec révision tous les six ans pour potentiellement prolonger l’accord.

Manipulation des devises : inclusion de dispositions pour prévenir la manipulation des devises et assurer la transparence dans les politiques de taux de change.

Commerce agricole : amélioration de l’accès au marché pour les produits agricoles américains, notamment la volaille, les œufs et le vin.

Le seul point qui pourrait resurgir plus tôt que prévu porte sur l’accès au marché laitier; le Canada pourrait être sollicité pour de nouvelles concessions concernant l’accès des entreprises américaines au marché laitier canadien.

Pendant la période de renégociation, les actions canadiennes ont connu une volatilité accrue, particulièrement dans les secteurs fortement exportateurs, comme l’énergie et les matériaux, qui dépendent de la relation privilégiée avec nos voisins nord-américains. Les secteurs industriels et automobile, en particulier, ont subi des pressions en raison de l’incertitude entourant les tarifs, ainsi que de l’imposition temporaire de tarifs de 25 % sur l’acier canadien et de 10 % sur l’aluminium canadien.

Tout au long de 2018, la Banque du Canada a continué d’augmenter prudemment son taux directeur, équilibrant les conditions intérieures avec les risques soulevés par la politique commerciale américaine. Le dollar canadien est demeuré sous pression jusqu’à la mi-2019, mais s’est finalement redressé en raison des progrès dans les négociations.

Ce précédent historique met en lumière l’importance des accords commerciaux stables dans la protection des économies de taille intermédiaire, comme celle du Canada, face aux turbulences internationales. Comme ce fut le cas en 2018, le taux de change USD/CAD devrait servir de baromètre des tensions commerciales.

Occasions pour les entreprises canadiennes

Alors que les États-Unis militent pour un régime commercial rééquilibré, les exportateurs canadiens – particulièrement dans les ressources naturelles et l’agriculture – sont bien positionnés pour bénéficier de certaines mesures proposées par la nouvelle administration Trump. Que ce soit par la déréglementation ou par des stimuli qui dynamiseront la demande des consommateurs américains, nous voyons émerger des thèmes intéressants.

Par exemple, nous prévoyons que l’administration Trump encouragera la production de pétrole et de gaz, tout en facilitant l’obtention de permis pour les oléoducs et les gazoducs; les entreprises énergétiques canadiennes pourront ainsi profiter d’une demande accrue.

De plus, avec la réduction à venir des subventions liées aux changements climatiques et un possible allègement de l’Inflation Reduction Act, le programme de subventions canadien pourrait devenir relativement plus avantageux pour les investissements étrangers dans le secteur de l’énergie propre.

Le Canada sera également soumis à une pression croissante pour augmenter ses dépenses en matière de défense et de sécurité, ce qui rendra les entreprises canadiennes de ce secteur plus attrayantes dans l’éventualité d’un budget de la défense accru.

Par ailleurs, malgré l’émergence possible de nouvelles barrières commerciales, des occasions pourraient se présenter pour négocier des exemptions ou des conditions favorables pour certains produits agricoles. Les entreprises agricoles canadiennes pourraient tirer leur épingle du jeu en se spécialisant dans des produits en forte demande et en négociant des conditions permettant de maintenir ou d’accroître leurs parts de marché aux États-Unis.

En résumé, au-delà des incertitudes découlant du scrutin du 5 novembre, de nombreuses occasions seront à saisir.

Implications pour le marché boursier américain

En examinant plus directement le marché boursier américain, nous pouvons identifier certains grands gagnants de la déréglementation et des baisses d’impôts potentielles.

Secteur financier et bancaire américain : Le secteur financier profitera de l’assouplissement réglementaire, particulièrement en ce qui concerne les marchés des capitaux et les exigences de prêts. Les attentes de fusions et d’acquisitions accrues renforcent cette perspective.

Secteur énergétique : La déréglementation, associée aux politiques favorisant les sources d’énergie traditionnelles, devrait stimuler la demande en combustibles fossiles. La simplification des permis pour les oléoducs et la réduction des incitatifs pour les véhicules électriques pourraient pousser les prix du pétrole à la hausse, favorisant les producteurs en amont.

Petites et moyennes capitalisations : Les sociétés opérant principalement sur le marché intérieur sont bien positionnées pour profiter des réductions d’impôt et de la simplification des cadres réglementaires.

Bien que les entreprises de petite capitalisation devraient bénéficier de la réduction des impôts et des tarifs douaniers, les inquiétudes concernant la hausse des taux d’intérêt, la rentabilité et les pressions inflationnistes pourraient limiter leur performance par rapport aux grandes entreprises. Nous recommandons aux investisseurs de se concentrer sur les entreprises de petite capitalisation disposant de bilans solides et d’une exposition aux secteurs déréglementés.

Zones de risque

Bien que nous ayons mis l’accent, jusqu’ici, sur les occasions à saisir, force est d’admettre que les politiques de l’administration Trump ne sont pas sans risques. Une position commerciale trop agressive pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales, pénalisant potentiellement les secteurs dépendant des composants internationaux. Les entrepreneurs sont parfaitement conscients de la complexité qu’implique l’imposition de tarifs douaniers généralisés, et les risques de représailles sont élevés.

Nous sommes convaincus que l’objectif ultime de l’administration Trump en matière de tarifs est de conclure de nouveaux accords commerciaux qui renforceraient le positionnement commercial de l’économie américaine. Toutefois, l’atteinte de cet objectif n’est pas garantie, et nous pouvons clairement entrevoir un scénario où la Chine, l’Europe ou d’autres partenaires commerciaux clés campent sur leurs positions pendant la majeure partie du mandat de Trump. Dans un tel scénario, l’impact sur l’inflation mondiale et la croissance pourrait contraindre les banques centrales à resserrer à nouveau leur politique monétaire, au risque d’entraîner l’économie mondiale en récession. Bien qu’il s’agisse d’un scénario alternatif pour l’instant, il mérite toute notre attention.

Et le dollar canadien ?

Malgré avoir atteint un creux de 1,40 $ pour la première fois en quatre ans, et pour la première fois depuis 2000 hors contexte de crise, le huard a fait preuve d’une vigueur relative face aux autres devises du G7. À mesure que les effets positifs des coupures de taux de la Banque du Canada deviennent plus clairs, nous estimons que le dollar canadien pourrait offrir des perspectives intéressantes en 2025.

Une stratégie de négociation prometteuse serait de prendre une position longue sur le dollar canadien (CAD) contre l’euro (EUR). L’Europe est confrontée à de nombreux défis structurels et cycliques, notamment un déclin démographique, une faible productivité et un manque d’harmonisation fiscale. Ces difficultés sont amplifiées par une exposition potentielle aux tarifs américains, particulièrement dans le secteur automobile.

En revanche, le Canada bénéficie d’un accord commercial solide, d’une situation budgétaire stable et d’exportations de matières premières robustes. La protection offerte par l’ACÉUM renforce davantage sa position, ce qui en fait une stratégie intéressante vu son profil risque-rendement favorable.

Conclusion

Le retour de Trump annonce une période de transformation pour l’économie mondiale et les marchés. Les politiques de son administration devraient stimuler la croissance dans certains secteurs tout en créant de la volatilité dans d’autres. Pour les investisseurs, la clé réside dans la compréhension des interactions entre l’expansion budgétaire, la déréglementation et les changements de politique commerciale. Une certitude demeure : tout changement de paradigme ouvre des occasions attrayantes, tant pour les investisseurs macro que ceux axés sur la sélection de titres.

Positionnement mensuel

En ce qui concerne le positionnement de portefeuille, nous maintenons notre préférence pour les actions par rapport aux liquidités et aux obligations, avec un accent particulier sur les actions canadiennes et américaines. Les valorisations des actions canadiennes sont attrayantes comparativement aux autres marchés mondiaux : la croissance canadienne semble s’améliorer et la Banque du Canada affiche une politique monétaire souple. Historiquement, ces facteurs sont favorables aux rendements des actions. Aux États-Unis, les perspectives de bénéfices continuent de nous sembler positives, malgré des valorisations plus exigeantes. Les politiques de déréglementation futures de l’administration Trump devraient soutenir les bénéfices d’une grande partie du marché des actions et, bien qu’elles commencent à être reflétées dans les cours, nous pensons qu’il reste encore du potentiel à l’approche de 2025. Dans l’ensemble, ce contexte est favorable pour les marchés boursiers et nous estimons que cette tendance positive a encore de la marge pour se poursuivre.

À moyen terme, nous continuons de penser que les taux plus élevés offerts par les titres à revenu fixe peuvent fournir une couverture efficace dans un portefeuille centré sur les actions. Cependant, d’un point de vue plus tactique, la résilience de la croissance américaine et les signes encourageants concernant l’amélioration de la croissance canadienne nous incitent à une certaine prudence. Si le nouveau secrétaire au Trésor affiche une approche fiscale plutôt orthodoxe, le risque d’un déficit accru demeure présent. Le marché pourrait peiner à absorber les émissions obligataires qui en résulteraient, surtout dans l’environnement actuel marqué par une croissance robuste et une inflation dépassant légèrement la cible. Dans ce contexte, bien que nous envisagions des augmentations opportunistes de notre allocation aux obligations en 2025, notre position dans cette classe d’actifs est plus prudente de part et d’autre de la frontière.

Aux États-Unis, les perspectives de bénéfices continuent de nous sembler positives, malgré des valorisations plus exigeantes. Les politiques de déréglementation futures de l’administration Trump devraient soutenir les bénéfices d’une grande partie du marché des actions et, bien qu’elles commencent à être reflétées dans les cours, nous pensons qu’il reste encore du potentiel à l’approche de 2025. Dans l’ensemble, ce contexte est favorable pour les marchés boursiers et nous estimons que cette tendance positive a encore de la marge pour se poursuivre.

Par ailleurs, les banques centrales des pays émergents, dont les achats massifs ont soutenu les cours, pourraient prendre une pause, ce qui retirerait un soutien à la matière première. Enfin, le regain d’appétit pour le risque qui fait suite à l’élection américaine pourrait entraîner un mouvement de l’or vers les actions, incitant d’autres investisseurs à prendre leurs profits. Nous considérons toujours l’or comme un élément stratégique utile à long terme dans un portefeuille, mais d’un point de vue tactique, nous percevons certains risques et avons décidé de renverser notre positionnement.

Alex Bellefleur

Vice-président sénior, chef de la recherche, allocation d’actifs

Lire la bio east

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

Lire la bio east