Macro & Stratégie - Février 2025
3 février 2025
Commentaires mensuelsNaviguer en eaux troubles
Section I : Le libre-échange commence chez soi
Le retour de Donald Trump à la présidence américaine a ravivé les inquiétudes concernant le protectionnisme et ses implications pour le commerce mondial.
Le Canada et les États-Unis entretiennent la relation commerciale la plus étroite au monde, chaque pays étant le principal partenaire de l’autre en valeur nominale. Ce commerce est également assez équilibré : pour les États-Unis, le ratio exportations/importations est de 0,85, ce qui représente le meilleur équilibre commercial parmi tous ses grands partenaires d’échange. Cet équilibre s’améliore davantage si l’on exclut l’énergie.
Cependant, face aux signaux annonçant un examen plus approfondi des déséquilibres commerciaux et la possibilité de tarifs douaniers visant les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, le Canada doit, une fois de plus, se préparer à d’éventuelles perturbations. Bien qu’elles méritent une attention particulière, les pressions externes mettent également en lumière l’importance de traiter les inefficacités à l’intérieur même des frontières canadiennes. Une piste de solution clé réside dans la réduction des barrières non tarifaires (BNT) au commerce intérieur, qui continuent d’étouffer la productivité et le potentiel économique des provinces.
Cependant, face aux signaux annonçant un examen plus approfondi des déséquilibres commerciaux et la possibilité de tarifs douaniers visant les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, le Canada doit, une fois de plus, se préparer à d’éventuelles perturbations. Bien qu’elles méritent une attention particulière, les pressions externes mettent également en lumière l’importance de traiter les inefficacités à l’intérieur même des frontières canadiennes. Une piste de solution clé réside dans la réduction des barrières non tarifaires (BNT) au commerce intérieur, qui continuent d’étouffer la productivité et le potentiel économique des provinces.
Le coût caché des barrières au commerce intérieur
La structure économique du Canada dépend fortement du commerce international, mais son cadre commercial intérieur reste fragmenté. Les barrières non tarifaires (BNT) — allant des quotas laitiers et de la réglementation du transport routier aux différentes exigences en matière de licences professionnelles — imposent des coûts importants aux entreprises et aux consommateurs. Ces incohérences réglementaires entravent la mobilité de la main-d’œuvre, limitent le choix des consommateurs, fragmentent les marchés, étouffent la concurrence et restreignent les économies d’échelle. Bref, l’effet cumulatif de ces barrières a freiné la croissance de la productivité canadienne.
Selon un rapport du Fonds monétaire international, le coût moyen en équivalent tarifaire des barrières internes non géographiques au Canada était estimé à 21 % pour l’année 2015, avec des variations importantes selon les provinces et les secteurs. Les services, les métaux lourds, les produits alimentaires et les produits manufacturés font face à des barrières particulièrement élevées, certains secteurs connaissant des taux effectifs dépassant 27 %. Le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador sont parmi les provinces particulièrement touchées, présentant certaines des barrières commerciales non géographiques les plus élevées, même en tenant compte des facteurs géographiques.
Le commerce interprovincial : un moteur au point mort
Bien que les volumes de commerce international aient considérablement augmenté depuis les années 1980, le commerce interprovincial a stagné. Au début des années 1980, le volume combiné du commerce interprovincial et international (la valeur combinée des exportations et des importations) représentait environ 55 % du PIB du Canada. Au cours de la décennie suivante, cependant, le commerce interprovincial a constamment reculé pour passer sous la barre des 40 % du PIB, niveau auquel il est demeuré depuis. En revanche, le commerce international a explosé, atteignant plus de 80 % du PIB après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis (1989) et de l’ALENA (1994).
Cette dépendance croissante au commerce international a davantage exposé le Canada aux chocs externes, tels que les menaces de tarifs douaniers et l’évolution des politiques commerciales au sein des marchés clés, comme les États-Unis. Une attention accrue à la libéralisation du commerce intérieur pourrait atténuer ces risques, réduisant la dépendance aux marchés externes volatils et favorisant une intégration économique plus forte au sein du Canada.
Et si la solution se trouvait au Canada même ?
Les politiciens et diplomates canadiens doivent poursuivre leurs efforts pour convaincre l’administration Trump que la logique derrière les menaces de tarifs douaniers de 25 % n’est pas fondée (la rhétorique concernant « l’afflux massif de personnes et de Fentanyl » ne correspond pas à la réalité de la frontière canadienne). En même temps, une piste claire se dessine pour réduire notre dépendance au commerce avec notre voisin et, très probablement, apporter des solutions simples au problème de productivité du Canada : la réduction des BNT.
Selon les estimations du FMI, la libéralisation complète du commerce intérieur des biens pourrait augmenter le PIB par habitant d’environ 4 %, avec des gains allant jusqu’à 16 % dans les petites provinces comme l’Île-duPrince-Édouard. Les provinces atlantiques figureraient parmi les gagnantes, avec des gains potentiels du PIB réel par travailleur pouvant atteindre 8 %. Ces chiffres sont révélateurs. Pour les mettre en perspective : selon les estimations de la Banque du Canada en 2019, l’imposition par les États-Unis d’un tarif général de 25 % sur toutes les importations, suivie d’une riposte symétrique de tous les pays (Canada inclus), réduirait le PIB réel canadien de 3,1 % à long terme.
Le rapport du FMI estime également que la libéralisation entraînerait une augmentation de 15 % des volumes du commerce intérieur en part du PIB, les ramenant aux niveaux observés au début des années 1980. L’emploi serait réaffecté vers les provinces réalisant les plus importants gains de productivité, réduisant les disparités régionales et favorisant un paysage économique plus équilibré.
Des leçons de l’étranger
Le régime fragmenté du commerce intérieur canadien contraste fortement avec les cadres plus intégrés de pays comme l’Australie et de blocs comme l’Union européenne. Le succès de l’Australie dans la réduction des barrières commerciales internes a été attribué au fédéralisme coopératif, où la collaboration entre le gouvernement fédéral et les États a conduit à une simplification de la réglementation. L’Union européenne a adopté une approche plus centralisée, assurant la libre circulation des biens et services grâce à l’harmonisation juridique et aux mécanismes de reconnaissance mutuelle.
Ces modèles offrent des leçons précieuses pour le Canada. Un effort coordonné impliquant le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires pourrait reproduire ces succès, s’appuyant sur le cadre existant de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) de 2017 pour s’attaquer aux barrières restantes. Un leadership fédéral fort sera essentiel pour harmoniser les réglementations et s’assurer que toutes les provinces demeurent engagées dans la libéralisation.
En résumé : s’aider soi-même d’abord
Alors que le Canada fait face à de potentielles perturbations externes sous Trump 2.0, la réduction des barrières commerciales internes offre une voie stratégique pour renforcer la résilience économique. En favorisant une plus grande intégration à l’intérieur de ses frontières, le Canada peut dégager des gains de productivité, réduire les disparités régionales et diminuer sa dépendance au commerce extérieur. Cette stratégie n’est pas simplement défensive; elle constituerait une étape proactive vers une économie plus compétitive et dynamique, mieux équipée pour naviguer à travers les défis tant nationaux que mondiaux.
Section II : L’Europe monte-t-elle ou baisse-t-elle pavillon ?
L’économie européenne et ses marchés entament 2025 sous un nuage de pessimisme, mais avec un potentiel de surprises positives. Bien que les défis structurels et les risques géopolitiques soient importants, nous soupçonnons que des occasions sélectives de croissance et de surperformance sectorielle peuvent passer inaperçues. Jetons un coup d’œil à quatre aspects clés qui façonnent le paysage d’investissement européen : le sentiment du marché, le contexte macroéconomique, les perspectives sectorielles et les implications politiques.
Sentiment du marché et attentes
Les marchés européens sont aux prises avec une nette divergence entre le sentiment et le potentiel. Le consensus du marché reste excessivement baissier, les actions de la zone euro reflétant des niveaux de pessimisme encore plus profonds que lors des premières phases de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022.
Les perspectives des actions se sont assombries, elles aussi : les prévisions de croissance du bénéfice par action (BPA) pour l’ensemble du marché européen ne s’élèvent plus qu’à 2 % sur les 12 prochains mois, signe que les investisseurs ont déjà fait une croix sur 2025.
Le pessimisme est également visible dans l’augmentation marquée des positions courtes sur l’EUR/USD, poussant la devise à son plus bas niveau depuis le début de la guerre. Nous pouvons affirmer sans risque que le pessimisme a atteint des extrêmes, les valorisations suggérant qu’une négativité substantielle est déjà intégrée dans les prix.
À cette perspective négative s’ajoute l’écart croissant dans les flux d’actions, les États-Unis continuant d’attirer un intérêt hors norme des investisseurs. Au cours de la dernière année, les actions américaines ont systématiquement attiré davantage de fonds que leurs homologues européennes, une tendance qui s’est accélérée après les élections américaines. Cette divergence n’est pas surprenante; elle souligne la préférence du marché pour les États-Unis, qui ont constamment surperformé au cours des 15 dernières années.
Les arguments en faveur de l’optimisme
Malgré la négativité ambiante, les faibles attentes de l’Europe laissent entrevoir des risques asymétriques à la hausse. Une série de catalyseurs potentiels pourrait entraîner une réévaluation des actions européennes et améliorer le sentiment économique.
Tout d’abord, les ajustements politiques et fiscaux pourraient être les gains les plus accessibles de 2025 en Europe. Par exemple, l’assouplissement potentiel des politiques fiscales allemandes et l’augmentation des dépenses en matière de défense pourraient donner un coup de pouce nécessaire à la demande intérieure. De plus, la consolidation fiscale plus large de la zone euro, qui a retranché 1,1 % au PIB en 2024, devrait s’atténuer en 2025, créant un environnement plus favorable à la croissance.
Deuxièmement, 2025 pourrait apporter une certaine stabilisation géopolitique au continent. Une résolution pacifique de la situation en Ukraine, par exemple, pourrait apaiser les inquiétudes du marché et raviver la confiance des investisseurs. Ou encore, l’alignement potentiel (forcé ou non) de l’UE sur les priorités géopolitiques américaines, y compris l’augmentation des dépenses de défense et la réduction de la dépendance aux importations chinoises, pourrait renforcer les relations transatlantiques et atténuer les incertitudes commerciales.
Troisièmement, les occasions de réformes et d’améliorations structurelles abondent. Par exemple, le rapport Draghi, bien que largement ignoré par les marchés, inclut des recommandations applicables qui pourraient améliorer la coordination des politiques, réduire la bureaucratie et renforcer la compétitivité. Si elles étaient soutenues par des dirigeants clés, comme le président Macron, ces réformes pourraient gagner du terrain.
Quatrièmement, les PMI de la zone euro, qui restent à des niveaux déprimés, pourraient bénéficier du soutien de quelques indicateurs macroéconomiques clés, comme l’assouplissement des conditions de crédit et l’amélioration du cycle des stocks. Les signes de progrès demeurent timides pour l’instant, mais ils méritent certainement une attention particulière pour tout signe d’amélioration.
Les raisons d’être prudent
L’Europe n’est pas sans défis, qui restent importants et profondément enracinés. La région continue de faire face à des problèmes structurels, tels que le vieillissement de la population, la faible productivité et l’absence d’une union fiscale cohésive. Ces facteurs limitent la capacité de la zone euro à répondre de façon dynamique aux chocs externes.
Les risques géopolitiques persistent également, particulièrement la possibilité de tarifs douaniers américains sur les biens européens. De telles mesures affecteraient de manière disproportionnée les économies dépendantes des exportations, comme l’Allemagne, assombrissant davantage les perspectives de croissance. À cela s’ajoutent la hausse des coûts énergétiques et l’incertitude entourant la transition verte, qui fragilisent la compétitivité du secteur industriel.
La dynamique commerciale de l’Europe est de plus en plus influencée par son alignement sur les priorités géopolitiques américaines. De nombreuses enquêtes commerciales de l’UE ciblent les importations chinoises, illustrant une attitude plus défensive. En réponse à des tarifs douaniers américains, l’Europe pourrait augmenter les importations de gaz naturel liquéfié et les dépenses en matière de défense pour apaiser Washington, tout en explorant des mesures de rétorsion, comme des droits d’importation plus élevés sur les biens de consommation américains.
Le rythme et l’ampleur de l’ajustement fiscal de l’Europe seront essentiels pour déterminer la trajectoire des tensions commerciales. Une approche proactive pourrait atténuer les risques, tandis que des retards pourraient exacerber les vulnérabilités économiques.
Comme le Canada, le bloc européen souffre également d’une contraction de sa productivité, ce qui le rend particulièrement vulnérable à une potentielle attaque tarifaire de l’administration Trump.
Les tendances de l’inflation demeurent aussi préoccupantes. Bien que les indicateurs d’inflation séquentiels de la BCE montrent des signes de modération, les pressions sous-jacentes pourraient provoquer un nouveau resserrement de la politique monétaire, exacerbant les défis posés par le resserrement quantitatif et l’offre obligataire record.
Inflation et politique monétaire
Les tendances de l’inflation dans la zone euro restent contrastées. Bien que l’inflation sous-jacente mensuelle ait augmenté en décembre 2024, les mesures fondamentales de la BCE indiquent une dynamique modérée. Dans un contexte de resserrement quantitatif à plein régime, le marché obligataire européen fait face à une offre nette record, susceptible de créer une pression à la baisse sur les prix.
Malgré cela, la forte demande lors des récentes émissions syndiquées révèle un intérêt robuste parmi les investisseurs, ce qui pourrait constituer une force stabilisatrice.
La BCE sera-t-elle en mesure de réaliser les 100 points de base de réduction des taux tant attendus pour 2025 ? Même si les marchés n’ont pas ajusté la trajectoire prévue malgré les pressions inflationnistes renouvelées de ces derniers mois, l’équilibre des risques s’est clairement déplacé, rendant moins évidente la perspective d’un retour rapide de la banque centrale vers une politique neutre.
En résumé : équilibrer les risques et les opportunités
L’économie européenne et ses marchés présentent un tableau complexe. Bien que des défis importants persistent, on ne peut ignorer le potentiel de surprises positives motivées par les réformes politiques, la stabilisation géopolitique et l’assouplissement des contraintes fiscales. Pour les investisseurs, la situation offre des occasions ciblées : des actions sous-évaluées dans les secteurs défensifs, l’amélioration des conditions de crédit et un euro sous-estimé.
Cela dit, une approche prudente s’impose, compte tenu des faiblesses structurelles de la région et de son exposition aux chocs externes. Notre analyse vise à évaluer si le potentiel de hausse pourrait compenser les risques baissiers dans la valorisation des actifs européens. Même si nous sommes en retrait pour le moment, nous estimons que les actions européennes et l’euro pourraient bientôt présenter des occasions d’investissement à contre-courant intéressantes.
Positionnement
En dépit des incertitudes et des risques liés aux tarifs douaniers et aux tensions commerciales sous la seconde administration Trump, nous maintenons une surpondération en actions. Si l’attention du marché s’est largement portée sur les risques associés aux politiques commerciales et migratoires, l’impact positif de la déréglementation du côté de l’offre a été moins considéré. Comme la déréglementation s’effectue principalement par décrets présidentiels, ses effets sur l’économie américaine peuvent se manifester plus rapidement que les changements politiques nécessitant l’approbation du Congrès.
Bien que les manchettes sur les guerres commerciales et les tarifs douaniers continueront probablement d’alimenter la volatilité des marchés, nous pensons que la tendance principale des marchés boursiers demeure haussière, portée par les effets positifs de la déréglementation dans un environnement déjà favorable à la croissance et aux bénéfices des entreprises américaines.
Notre surpondération en actions se concentre sur les titres américains, mais aussi canadiens. Malgré les risques tarifaires, le contexte des bénéfices au Canada demeure relativement favorable, bénéficiant du point bas du cycle macroéconomique et de l’impact différé des précédents assouplissements de la Banque du Canada. De plus, avec une inflation qui redescend à des niveaux légèrement supérieurs à l’objectif de 2 %, la Réserve fédérale et la Banque du Canada disposent d’une marge de manœuvre importante pour réduire leurs taux en cas de choc imprévu sur la croissance en 2025. Cela nous incite à maintenir notre préférence pour les actions dans notre allocation d’actifs.
Bien que nous reconnaissions le rôle des obligations comme couverture efficace contre les risques liés aux actions, nous restons tactiquement prudents sur cette classe d’actifs. Nous estimons que les actions continueront d’offrir un meilleur rapport rendement risque. Nous surveillerons l’évolution de la croissance et de l’inflation pour déterminer le moment opportun d’adopter une perspective plus positive sur les obligations.
Concernant les devises, nous maintenons globalement une surpondération dans le dollar américain face aux devises européennes, comme l’euro, le franc suisse et la couronne tchèque. Si l’attention du marché s’est largement tournée sur la volonté de Trump d’imposer des tarifs douaniers au Mexique, au Canada et à la Chine, l’Europe se trouve dans une position délicate concernant son rôle dans le commerce mondial.
L’Allemagne se trouvant dans une impasse politique avant ses élections fédérales du 23 février, il est difficile de mettre en œuvre des politiques qui répondraient aux menaces pesant sur le secteur industriel du pays. La surcapacité chinoise dans des secteurs comme celui des véhicules électriques menace la part de marché mondial des exportations de la zone euro, compliquant la croissance des pays européens exportateurs de biens.
Dans ce contexte, nous pensons donc que la Banque centrale européenne devrait poursuivre sa politique d’assouplissement, et que les devises corrélées à l’euro devraient continuer de se déprécier face au dollar américain.