Macro & Stratégie - Juillet 2023
5 juillet 2023
Commentaires mensuelsFin du marché baissier à Wall Street?
Il faut nous rendre à l’évidence : jusqu’à présent, 2023 n’a pas été une année propice à l’investissement macro.
Selon la définition habituelle, le S&P 500 vient de sortir d’une phase baissière et se trouve de nouveau en territoire haussier, l’indice ayant terminé la journée du 9 juin 2023 en hausse de 20 % par rapport à son creux d’octobre.
Bien entendu, la liquidité est un élément important du contexte macrofinancier actuel. Même si elles manifestent clairement leur intention de réduire leurs bilans et de retirer des liquidités du système, les banques centrales ont plutôt augmenté leurs actifs au cours du premier semestre, ce qui a sans doute alimenté l’appétit pour le risque. D’après un modèle très simple fondé sur les conditions de liquidité, le momentum récent à Wall Street aurait porté les valorisations environ 400 points (10 %) au-dessus de la juste valeur.
Une poignée de secteurs a ouvert la marche, dans un contexte où l’intelligence artificielle demeure l’une des principales sources d’optimisme auprès des investisseurs. Nous sommes conscients que l’engouement autour d’un tel thème permet à la dynamique de s’alimenter par elle-même, ce qui pourrait pousser les actions au cours des prochains mois, et ce, malgré les signaux clairs de notre cadre macroéconomique.
Tout en maintenant le cap sur notre position relativement prudente, nous croyons qu’il est peut-être temps d’ajuster tactiquement nos perspectives, en réduisant de moitié notre sous-pondération dans les actions américaines. À notre avis, ce positionnement sera de courte durée, car la situation n’est pas sans rappeler l’année 1999, alors qu’il avait très difficile de prédire le sommet du marché dans un contexte de signaux contradictoires.
Tout en maintenant le cap sur notre position relativement prudente, nous croyons qu’il est peut-être temps d’ajuster tactiquement nos perspectives, en réduisant de moitié notre sous-pondération dans les actions américaines. À notre avis, ce positionnement sera de courte durée, car la situation n’est pas sans rappeler l’année 1999, alors qu’il avait très difficile de prédire le sommet du marché dans un contexte de signaux contradictoires.
L’expression la plus dangereuse en place : « Cette fois, c’est différent »
Comme nous l’avons expliqué dans les dernières éditions de cette publication, l’accumulation des mesures de resserrement monétaire continue de faire son oeuvre dans le système, tout particulièrement du côté des titres de créance. Selon nos indicateurs avancés, nous devrions observer une faiblesse qui finira par peser sur les valorisations des marchés. Après tout, la capacité des entreprises à faire croître leurs ventes et leurs bénéfices est profondément ancrée dans le cycle économique, et d’un point de vue macroéconomique, l’avenir s’annonce turbulent.
Cela dit, force est de constater que les politiques monétaires ne font effet qu’au bout d’une certaine période, parfois longue et imprévisible. En tant qu’adeptes des tendances historiques, nous sommes résolument contre le principe du « cette fois, c’est différent ». Nous croyons plutôt à l’importance de rester patients et de laisser les rouages de la machine économique suivre leur cours.
En poursuivant sur notre lancée des derniers mois, nous allons continuer d’explorer la corrélation entre les récessions et les creux des marchés baissiers. Le mois dernier, nous avons appliqué l’un de nos modèles mentaux habituels pour estimer le risque de nous tromper et la probabilité que le Canada et les États-Unis évitent une récession au cours des 24 prochains mois. Conclusion : les chances d’un atterrissage en douceur sont faibles chez nos voisins du Sud, mais moyennes au Canada.
L’une des pierres angulaires de notre cadre macroéconomique est la nature évolutive des marchés baissiers, qui ne prennent pas fin tant que l’économie ne tombe pas en récession. Le tableau ci-dessous parle de lui-même : les récessions sont généralement provoquées par un resserrement monétaire (dont les effets arrivent entre 18 et 24 mois plus tard). De plus, bien que les marchés aient tendance à être prospectifs, l’effet de retardement des politiques dépasse généralement la longueur des pronostics des investisseurs, qui est de 12 mois. Par conséquent, lorsque les banques centrales commencent à réduire leurs taux face à la détérioration des données économiques, c’est généralement signe que le marché baissier n’est pas encore terminé.
Définir une récession
Contrairement à la croyance populaire (et à ce qu’on enseigne encore dans les cours d’économie), une récession n’est pas simplement le résultat de deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB.
En fait, la tâche de déterminer les dates de début et de fin des récessions est confiée à des comités d’experts : l’Institut C.D. Howe au Canada et le National Bureau of Economic Research (NBER) aux États-Unis.
Selon le NBER, cette définition « souligne qu’une récession implique une diminution importante de l’activité économique sur l’ensemble du système et qu’elle persiste pendant plus de quelques mois. Pour déterminer les mois où surviennent les sommets et les creux, on tient compte d’une série d’indicateurs mensuels de l’activité économique réelle globale, qui sont publiés par les agences fédérales de statistiques. On y trouve notamment le revenu personnel réel moins les transferts, l’emploi non agricole, l’emploi d’après les enquêtes auprès des ménages, les dépenses de consommation personnelle réelles, les ventes de gros et de détail corrigées des variations de prix et la production industrielle. Il n’y a pas de règle fixe qui définisse l’utilité des indicateurs au sein du processus ni leur pondération au sein de nos décisions. Depuis quelques décennies, les deux indicateurs qui ont eu le plus de poids sont le revenu personnel réel moins les transferts et l’emploi non agricole. »
Compte tenu de ce qui précède, aucune définition de récession n’est coulée dans le béton et à partir des mêmes données, chaque observateur (y compris ceux des marchés) peut tirer des conclusions différentes.
À la lumière de la situation actuelle, force est de constater que nous ne sommes pas en récession en ce moment. En fait, selon les suspects habituels du tableau de bord du NBER et ceux du Conference Board, le cycle économique se porte toujours bien.
Si le marché baissier est vraiment terminé, ce serait la première fois dans l’histoire qu’il atteint un creux avant que l’économie ne tombe officiellement en récession. Cependant, d’un point de vue prospectif, les morceaux continuent de tomber en place en vue d’une contraction de l’économie.
Un regard prospectif plutôt que rétrospectif
En tant qu’investisseurs, notre travail consiste à suivre les conseils du grand Wayne Gretzky : patiner vers là où la rondelle se dirige, et non vers là où elle était. Selon notre principal indicateur avancé, qui condense en une seule donnée le montant cumulatif des mesures de resserrement monétaire à l’échelle mondiale, les vents contraires s’intensifieront jusqu’à la fin de l’année.
Est-ce que ce sera suffisant pour que certains pays tombent en récession? En ce qui concerne les États-Unis, notre scénario de base repose toujours sur une récession au cours des 12 prochains mois, mais pour ce qui est du Canada, notre pronostic est plus nuancé, compte tenu de la vigueur des vents démographiques favorables. Selon la dernière enquête de Bloomberg auprès des économistes, les prévisions générales tablent sur une récession aux États-Unis vers le second semestre de 2023.
Tirer les leçons de l’histoire pour établir une liste de contrôle des récessions
Comme les dates de début de récession ne sont connues qu’avec un certain retard, nous croyons en l’utilité d’une vaste liste d’indicateurs, qui peuvent nous donner une longueur d’avance pour évaluer les probabilités d’une récession imminente.
Bien que le passé soit un repère utile, il faut se rappeler que chaque cycle est unique et qu’aucune liste de contrôle ne permet de prédire à coup sûr la date de début d’une récession. Pour pallier ces lacunes, nous préférons nous concentrer sur une poignée de signaux essentiellement macroéconomiques qui, pris ensemble, ont fait leurs preuves pour prédire les changements dans le cycle économique. Voici une courte liste, accompagnée des signaux que nous observons présentement.
L’économie américaine a beau ne pas être en récession pour l’instant, notre liste de contrôle démontre que tous les signaux sont là.
À titre de rappel, 1) l’histoire montre clairement qu’un cycle baissier du S&P 500 n’a jamais atteint son creux avant le déclenchement d’une récession, et 2) force est de constater que l’économie américaine n’est pas en récession à l’heure actuelle et pourtant, 3) nos signaux témoignent de risques élevés à l’horizon. Par conséquent, nous devons continuer de sous-pondérer les actions américaines jusqu’à ce que nous soyons convaincus que le cycle baissier a pris fin.
L’avocat du diable : dans quelle mesure faut-il sous-pondérer les actions américaines?
Compte tenu de l’analyse ci-dessus, il peut sembler paradoxal d’augmenter notre exposition aux actions américaines.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, le domaine de l’intelligence artificielle n’est pas sans rappeler la situation de 1999, et le momentum des actions technologiques est maintenant sans équivoque. Les épisodes précédents nous ont appris que les valorisations peuvent continuer de progresser et qu’il serait périlleux de prédire leur sommet. Conscients de cette dynamique à court terme, nous sommes enclins à réduire tactiquement notre sous-pondération dans les actions américaines, ne serait-ce que pour une courte période.
Selon le temps nécessaire pour que les politiques monétaires fassent leur oeuvre dans le système, nous pourrions également assister, au cours des prochains mois, à un revirement où les investisseurs délaisseraient les titres technologiques au profit des titres non technologiques. Voilà qui permettrait de maintenir le marché à flot malgré la hausse des taux d’intérêt.
Par ailleurs, les banques centrales pourraient être tentées de ralentir, voire d’inverser temporairement leur retrait de liquidités et, comme nous l’avons vu au premier trimestre, de favoriser l’appétit pour le risque. Dans le même ordre d’idées, la Chine semble envisager le recours à des mesures de relance (la Banque populaire de Chine est justement déjà en train de réduire ses taux), et la Fed pourrait être tentée d’élargir ses mesures de soutien si, dans les mois à venir, d’autres banques sont aux prises avec des difficultés.
Soucieux de maintenir une exposition des portefeuilles adéquate aux sources de croissance, nous avons décidé de réduire la sous-pondération dans les actions américaines de (- -) à (-) ce mois-ci, au détriment des liquidités. C’est peut-être l’occasion idéale de profiter du momentum des marchés américains avant que les hausses de taux commencent à faire mal et à plomber les perspectives de croissance et de rendement.
Conclusion
Actions
Dans l’ensemble, notre positionnement dans les actions demeure relativement prudent, malgré les divergences que nous observons entre nos signaux macros et le momentum observé sur le marché.
Bien que les valorisations ne soient pas étroitement liées à la performance à court terme, l’écart de valorisation entre les indices américains et le reste du monde est devenu encore plus grand, nous incitant à conserver notre sous-pondération structurelle dans les actions américaines.
La prime de risque sur les actions nous indique que le marché boursier américain est à son niveau le plus cher depuis la crise financière de 2008-2009 par rapport aux obligations du Trésor à 10 ans, mais la valorisation relative se compare encore avantageusement à la période 1980-2000. Compte tenu des relations à long terme au coeur de notre cadre d’analyse macro, nous anticipons davantage de détérioration dans la croissance des revenus et des bénéfices d’ici la fin de l’année, ce qui pousserait la valorisation vers des niveaux de plus en plus inconfortables.
En nous référant encore au passé, nous pouvons démontrer que les récessions n’ont pas été clémentes envers les bénéfices de Wall Street. Le tableau ci-dessous montre que les bénéfices du S&P 500 ont chuté de 31,6 % en moyenne (médiane de 22,0 %) au cours des récessions précédentes. La récession que nous anticipons actuellement pourrait être beaucoup plus légère que plusieurs dans cet échantillon, mais il serait étonnant que les entreprises arrivent à protéger l’ensemble de leurs bénéfices cette fois-ci.
Nous constatons que le rebond de 20 % sur Wall Street depuis le creux d’octobre 2022 manque d’ampleur. La proportion lissée d’actions qui s’échangent au-delà de leur moyenne mobile de 200 jours tourne seulement autour de 50 %, un chiffre que nous aimerions voir augmenter avant de modifier notre positionnement stratégique.
Revenu fixe
Nous avons conservé une position surpondérée dans les obligations souveraines de longue durée au cours du mois, ainsi qu’une sous-pondération dans les obligations de sociétés à haut rendement.
Les taux à 10 ans sont actuellement près de leur sommet des quinze dernières années aux États-Unis et au Canada et offrent une proposition de valeur intéressante par rapport à la décennie précédente. Même si le concept TINA (« there is no alternative ») était omniprésent au cours de la dernière décennie, il apparaît maintenant très sensé de détenir un portefeuille plus équilibré et d’obtenir des rendements attrayants sur la portion revenu fixe au lieu de bénéficier surtout d’un effet de diversification.
Dans le segment des obligations de sociétés, les taux globaux sont également devenus très généreux, à plus de 5 % sur les titres de qualité investissement et environ 8 % sur les titres à haut rendement. Bien que ces taux soient attrayants, nous croyons que les rendements attendus corrigés pour les fluctuations liées aux gains en capital militent en faveur des titres de meilleure qualité. En effet, en période de turbulence économique, les écarts de crédit sur les obligations à haut rendement tendent à s’élargir jusqu’à une fourchette de 800 à 1 000 points de base. Si notre cadre d’analyse macro vise juste, et que nous assistons à un retour de la volatilité sur les marchés, alors les obligations de qualité devraient offrir une performance supérieure malgré des écarts plus modestes.
Produits de base et devises
La vigueur du dollar américain devrait s’accroître en deuxième moitié d’année, alors qu’un contexte favorable s’est établi en mai avec la décélération du momentum en Europe et en Chine. Ceci devrait avantager le dollar américain, surtout si les actifs risqués renouent avec la volatilité.
Le soutien des facteurs de liquidité pour le USD devrait se poursuivre, mais d’une manière plus indirecte et discrète. Jusqu’à présent, la performance des devises du G10 a surtout été influencée par les différences dans les taux d’intérêt. Ce phénomène pourrait s’atténuer si les profils de croissanceinflation deviennent moins synchronisés.
Le ratio cuivre-or suit une tendance haussière depuis la mimai, encouragé par la résolution de la crise sur le plafond de la dette. Au cours des prochains trimestres, nous anticipons un intérêt renouvelé pour l’or comme source de diversification si le rallye boursier devait s’essouffler. Le cuivre demeure sous pression depuis son sommet du début de 2022. Nos indicateurs avancés suggèrent que la baisse pourrait se poursuivre jusqu’à ce qu’on observe des signaux clairs que : 1) l’économie mondiale s’est entièrement ajustée aux taux plus élevés, et 2) l’activité manufacturière en Chine reprend de la vigueur.
Le dollar canadien s’est apprécié par rapport au dollar américain au cours du dernier mois et semble vouloir percer sa fourchette récente, poussé par des taux de swap à deux ans plus solides, la résilience économique ainsi que le momentum des actifs risqués. Nous demeurons neutres sur le CAD pour l’instant, car la surperformance soutenue des devises liées aux produits de base tend à être concentrée dans les périodes où le cycle économique mondial a clairement atteint un creux. Nous nous attendons à une appréciation marquée du dollar canadien au cours des prochaines années, mais nous croyons qu’il est encore trop tôt pour mettre en place une position surpondérée.