Macro & Stratégie - Juin 2023

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Réflexion rétroactive : quelles sont les chances d’éviter une récession?

La dynamique de l’offre et de la demande globales

Pour préparer le terrain à l’évaluation de ce mois-ci, qui porte sur la probabilité d’une récession au cours des deux prochaines années, nous commençons par l’analyse d’un modèle économique simple. Celui-ci nous permettra d’expliquer ce qui s’est passé au cours des trois dernières années et de déterminer où nous en sommes aujourd’hui.

Le modèle économique fondé sur l’offre et la demande globales démontre les effets des fluctuations de ces deux concepts sur l’ensemble de l’activité économique. Comme son nom l’indique, il repose sur la corrélation entre la demande totale de produits et de services (demande globale) et l’offre totale de produits et de services (offre globale). Le modèle montre qu’à court terme, les variations de la demande globale peuvent peser sur la production réelle et les prix et qu’à long terme, les variations de l’offre globale peuvent peser sur la production réelle et les prix, mais aussi sur l’emploi. Le modèle fondé sur l’offre et la demande globales est important pour les autorités, car il aide à comprendre le poids de leurs décisions de politique sur l’ensemble de l’économie. Pour simplifier notre explication du rôle des interventions monétaires et budgétaires, notre analyse portera essentiellement sur la demande globale, en utilisant un scénario d’offre globale constante1.

Le graphique ci-dessous représente un modèle fondé sur l’offre et la demande globales. La courbe de l’offre globale est ascendante, car l’inflation a tendance à s’accélérer avec la croissance du PIB réel. En revanche, la courbe de la demande globale est descendante, car la demande tend à diminuer à mesure que l’inflation augmente. Le modèle porte à croire qu’il existe un point d’équilibre pour la croissance du PIB réel et l’inflation qui, dans cet exemple, se trouve à l’intersection de la courbe 2 et de la courbe de l’offre globale.

Compte tenu des effets de la pandémie mondiale et des mesures monétaires et budgétaires adoptées en conséquence, le cadre permet de constater que la courbe de la demande globale s’est d’abord déplacée vers le bas (courbe 3). Ainsi, le choc sur la demande a freiné à la fois la croissance et l’inflation, avant que les injections rapides et massives de liquidités n’aient entraîné une demande excédentaire, qui a transféré la demande globale au-delà du point de départ, vers la courbe 1. À ce stade, le point d’équilibre de la croissance et de l’inflation a augmenté.

Face à une économie ayant atteint un point d’équilibre à court terme où la croissance et l’inflation sont supérieures aux cibles, les banques centrales sont intervenues en haussant leurs taux directeurs. C’est ce qui a déplacé la courbe de la demande globale vers la gauche tout en réduisant l’inflation, mais aussi la croissance (au risque de provoquer des récessions).

Nous savons que les politiques monétaires produisent leurs effets avec un certain décalage, et que les banques centrales ne sont pas reconnues pour leur don de clairvoyance. Ainsi, la plupart des cycles de resserrement se terminent par un atterrissage brutal. Selon le cadre ci-dessus, un atterrissage en douceur (voire un non-atterrissage) serait possible si les banques centrales étaient suffisamment habiles pour revenir parfaitement à la courbe 2. Si le passé est garant de l’avenir, nous finirons probablement dans une situation inférieure au point d’équilibre initial, où l’inflation est maîtrisée, mais où l’économie est en récession.

Modèles mentaux : le raisonnement rétroactif

Le travail des économistes et des stratèges s’apparente beaucoup à celui des analystes du renseignement qui tentent de prédire la situation géopolitique. Certes, les économistes composent rarement (bon d’accord, jamais) avec des situations de vie ou de mort, mais les deux métiers s’articulent autour de la collecte d’informations, de l’émission et de la validation d’hypothèses et de la formulation d’un point de vue à appliquer.

La collecte de données est une étape indispensable aux deux métiers, et nous sommes profondément convaincus qu’en 2023, un processus riche en données est essentiel pour générer des rendements de placement intéressants. Cela dit, nous sommes conscients que l’analyse des données est l’étape par excellence pour dégager de la valeur. En bref, la collecte et l’organisation des données sont la partie la plus facile du travail; c’est l’extraction des informations liées à ces données qui nous permet d’ajouter de la valeur.

La plupart du temps, les lacunes en matière de renseignement découlent non pas de données limitées ou inadéquates, mais bien de faiblesses analytiques. En fait, il arrive souvent que les données pertinentes soient ignorées, rejetées, négligées ou mal interprétées parce qu’elles s’écartent de la pensée établie ou dominante. Autrement dit, le bruit étouffe les signaux en raison de biais cognitifs tels que l’effet de troupeau, l’effet d’ancrage ou le biais de confirmation.

L’un des moyens de contourner ces problèmes issus de la nature humaine consiste à utiliser des modèles mentaux adéquats pour 1) expliciter les hypothèses et 2) faciliter l’attribution de probabilités à chaque hypothèse. Ce mois-ci, nous utilisons le raisonnement rétroactif pour répondre à une question simple, mais cruciale : dans quelle mesure sommesnous convaincus que le Canada ou les États-Unis seront frappés par une récession au cours des deux prochaines années?

Avant de plonger dans l’analyse proprement dite, prenons quelques instants pour décrire le concept de raisonnement rétroactif et ses avantages.

Penser à l’envers pour mieux avancer

Le raisonnement rétroactif est un modèle mental souvent utilisé dans le domaine de l’analyse géopolitique. Il est abordé dans The Psychology of Intelligence Analysis, bible de la psychologie de l’analyse du renseignement écrite par Richards J. Heuer.

Dans le cadre d’une expérience de pensée, partons du principe qu’un imprévu s’est produit, puis projetons-nous dans l’avenir en jetant un regard rétrospectif pour comprendre comment l’événement a pu se produire. Analysons ce qui a dû se passer 6 ou 12 mois plus tôt pour mettre en place le scénario menant au résultat, les actions mises en oeuvre 6 ou 12 mois plus tôt pour jeter les bases et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous arrivions au moment présent.

Le raisonnement rétroactif sert à réorienter le point de vue d’un événement sur la façon dont il s’est produit. Adopter ce point de vue différent permet de libérer l’esprit des notions préconçues et ancrées dans le présent. En d’autres termes, il donne accès à de nouvelles perspectives. Ainsi, le chercheur prend conscience qu’il peut créer un scénario tout à fait plausible pour un incident qui paraissait auparavant improbable. Le raisonnement rétroactif s’avère particulièrement utile pour les scénarios qui ont peu de chances de se produire, mais qui pourraient avoir des conséquences importantes s’ils se concrétisaient.

Dans ce contexte, voici une question toute simple. Supposons que nous sommes en juin 2025 et que nous n’avons pas connu de récession – ni au Canada ni aux États-Unis. Pendant que les partisans d’un scénario « sans atterrissage » sont occupés à célébrer leur victoire, les partisans des atterrissages brutaux et en douceur se réunissent dans une salle et revoient le fil des événements des 24 derniers mois. De quoi se compose-t-il?

La première étape consiste à décrire la séquence de façon très précise. Puis, à l’aide de données, il faut évaluer les chances que chacune de ces étapes se produise précisément dans cet ordre au cours de la période qui nous sépare de l’été 2025. Sommes-nous toujours aussi convaincus de notre pronostic de récession ou, au contraire, avons-nous réalisé qu’il est fondé sur des préjugés?

Transition vers 2025

Il est impossible de voir directement où se situent l’offre et la demande globales à un moment donné et, tout comme les banquiers centraux, nous n’avons pas de dons de clairvoyance. Par conséquent, nous devons trouver des indices pour nous situer sur le modèle fondé sur l’offre et la demande globales et connaître la probabilité de revenir sur la courbe 2. Compte tenu de notre compréhension de la propagation des politiques monétaires, voici notre séquence simplifiée des événements attendus d’ici le milieu de l’année 2025 :

  1. Les banques centrales ont resserré leur politique monétaire, les coûts d’emprunt sont devenus élevés, et tant l’offre que la demande de crédit reculent.
  2. Les dépenses de consommation ralentissent, car les ménages se sentent moins fortunés face à la contraction des prix de l’immobilier et font face à une augmentation des coûts des prêts hypothécaires et des cartes de crédit. La demande de biens de grande valeur, tels que les maisons et les véhicules, diminue encore plus.
  3. Les bénéfices des entreprises diminuent à mesure que le ralentissement des investissements et des dépenses de consommation se fait ressentir. Les dirigeants réagissent en coupant leurs coûts; elles coupent dans leur main-d’oeuvre et adoptent d’autres mesures.
  4. L’emploi commence à souffrir, car les entreprises cessent d’embaucher et, dans certains cas, commencent à licencier du personnel, ce qui fait grimper le chômage.
  5. Ce ralentissement économique fait reculer l’inflation.

La transition générale se déroule habituellement sur une période de 18 à 24 mois.

Pour parvenir à un scénario sans récession d’ici le milieu de 2025, un grand nombre de phénomènes ci-dessus, pour ne pas dire la plupart, doivent se produire de manière modérée ou être carrément évités. Examinons chacun d’entre eux individuellement.

Politique monétaire et crédit

Certaines banques centrales indiquent qu’elles ont terminé de resserrer leur politique monétaire – du moins pour l’instant. D’autres, comme la Banque du Canada, restent sur les lignes de côté. Pour sa part, la Réserve fédérale américaine (Fed) a laissé entendre qu’elle avait adopté une position dépendante des données; notre scénario de base part du principe qu’elle prend une pause au moins jusqu’à l’été, le temps que l’économie digère la récente trajectoire de hausse. Quant à la Banque centrale européenne (BCE), elle reste catégorique : le resserrement n’est pas terminé.

Pourrions-nous assister à un retour rapide des baisses de taux au second semestre de 2023 ou au début de 2024? C’est tout à fait possible, mais nous croyons que ce serait une réaction immédiate à un ralentissement économique étonnamment grave au cours de 2023, ce qui contrevient à l’objectif. Pour que la Fed et les autres banques centrales réduisent leurs taux, il faudrait d’abord qu’il y ait une récession, étant donné que l’inflation des services demeure très persistante.

Voilà qui nous ramène au sujet du cycle du crédit, que nous avons abordé le mois dernier ici.

Pour qu’un atterrissage en douceur se produise, il faudrait que le crédit reste quelque peu disponible afin que les entreprises continuent à investir et que les ménages continuent à dépenser. Nous avons démontré le mois dernier que dans l’ensemble, les conditions de crédit ont déjà commencé à se resserrer – bien plus tôt que dans les cycles de resserrement de politique monétaire habituels.

Les récentes enquêtes auprès des responsables du crédit au Canada et aux États-Unis montrent que la volonté et la capacité des banques à accorder du crédit sont en contraction, ce qui démontre sans équivoque une diminution de l’offre de crédit. L’Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada et l’enquête de la NFIB aux États-Unis témoignent également d’une baisse de la demande de crédit de la part des entreprises, ce qui porte à croire que le cycle de crédit tire à sa fin.

Compte tenu de cette diminution de l’offre et de la demande, nous nous attendons à ce que les conditions de crédit freinent la croissance future.

Ainsi, la probabilité que les politiques monétaires ou le cycle du crédit deviennent bénéfiques à court terme et favorisent un scénario « sans atterrissage » d’ici le milieu de 2025 est, à notre avis, assez faible.

Immobilier

S’avérant plus résilient que prévu, le marché immobilier a été l’un des points positifs de l’année. Ainsi, les prix ont baissé d’à peine 10 % ou 15 % au Canada et d’environ 5 % aux États-Unis. La corrélation à long terme entre les taux hypothécaires et le prix des logements laisse encore présager des baisses, mais tout n’est pas morose, notamment au Canada, où la forte croissance démographique attribuable à l’immigration devrait soutenir la demande de logements.

Cela dit, le facteur qui explique la baisse limitée des prix des logements, malgré l’ampleur et la rapidité du cycle de resserrement monétaire, pourrait être la dynamique du marché à court terme. Plus précisément, la hausse des taux hypothécaires s’est déroulée rapidement : au Canada, le taux hypothécaire fixe à 5 ans est actuellement de 5,75 %, tandis qu’aux États-Unis, le taux fixe à 30 ans est d’environ 7 %. Les ménages, qui pour la plupart ont contracté des prêts hypothécaires immobilisés à des taux nettement inférieurs, n’ont pratiquement aucune bonne raison de vendre leur maison, tandis que la vigueur des taux vient décourager les acheteurs potentiels.

La détermination des prix se fait lentement et, par conséquent, l’immobilier, qui constitue une vaste réserve de richesse pour la plupart des ménages, conserve sa valeur. Les habitudes de consommation dépendent en grande partie de la richesse globale et dans ce contexte, le marché immobilier favorise la résilience des consommateurs.

Pour que l’économie évite un scénario d’atterrissage brutal, l’immobilier doit continuer à soutenir la richesse des ménages. Toutefois, cela semble peu probable en raison de l’ampleur des hausses de taux depuis le début de 2022 et de l’augmentation historique des taux hypothécaires des deux côtés de la frontière.

On peut donc se demander si l’immobilier continuera à soutenir la consommation au cours des deux prochaines années. Le passé ne soutient pas cette hypothèse, mais compte tenu de la résilience récente du marché nordaméricain, nous devrions rester ouverts aux surprises potentielles. Malgré notre biais pessimiste, nous croyons que la probabilité que cette hypothèse tienne la route est faible aux États-Unis, mais moyenne au Canada.

Confiance des consommateurs

Pour conclure les arguments sur la consommation, la confiance des consommateurs nous apparaît comme le dernier élément du puzzle.

Les enquêtes récentes montrent que la solidité du marché du travail rend les ménages optimistes quant à leur situation actuelle, mais moins en ce qui concerne l’avenir.

Pour les consommateurs américains en particulier, nous observons un écart croissant entre leur perception de la situation actuelle et leurs attentes pour l’avenir — un indicateur avancé de récession assez fiable (qui se comporte de manière similaire à l’opinion du marché sur les probabilités de récession, laquelle est perceptible dans la pente de la courbe des taux).

La situation au Canada est plus favorable : l’opinion des ménages sur leur avenir s’est améliorée de façon constante au cours des six derniers mois, alors que l’indice Pocketbook sur la situation actuelle est demeuré stable. Le résultat net démontre que les ménages restent encore prudents face à l’avenir, mais que l’écart se rétrécit.

Dans l’ensemble, nous pensons que la confiance des consommateurs pourrait surprendre positivement au Canada au cours des deux prochaines années. Toutefois, l’écart de confiance aux États-Unis est maintenant bien ancré en zone de récession. À moins d’un changement d’humeur rapide, la probabilité de voir la confiance des consommateurs soutenir la croissance nous apparaît faible aux États-Unis et moyenne au Canada.

Investissement des entreprises

Passons maintenant à l’investissement des entreprises, la composante la plus procyclique et prospective de la croissance.

L’investissement évolue en fonction des perspectives du monde des affaires. Selon l’enquête NFIB aux États-Unis et l’enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, les anticipations d’investissements sont en tendance baissière depuis le début de 2022, alors que les attentes relatives à la croissance et aux ventes ont décliné.

Ces baisses marquées n’annoncent rien de bon pour les investissements au cours des prochains trimestres.

Pour que les entreprises deviennent plus optimistes sur les perspectives d’investissement, il faudrait voir d’importantes révisions à la hausse de ces enquêtes, combinées à des prévisions plus favorables pour la croissance mondiale.

Les investissements des gouvernements pour soutenir la transition énergétique, comme l’Inflation Reduction Act aux États-Unis et des programmes équivalents annoncés dans les récents budgets fédéraux et provinciaux au Canada, pourraient potentiellement changer la donne. Si ces programmes prennent de l’ampleur et génèrent un élan dans les investissements, nous pourrions voir un soutien modéré des dépenses d’investissement au cours des 24 prochains mois.

Dans l’ensemble, la probabilité que les dépenses d’investissement des entreprises soutiennent la croissance du PIB au cours des 24 prochains mois nous apparaît comme moyenne.

Marché de l’emploi

Le marché de l’emploi joue un rôle clé dans les probabilités d’un scénario « sans atterrissage » au cours des 24 prochains mois, et affirmer que le marché de l’emploi est actuellement serré est un euphémisme.

Le taux de chômage est à un creux historique aux États-Unis tout comme au Canada. Cette tension dans le marché de l’emploi est remarquable et peut s’expliquer à la fois par des facteurs structurels et cycliques.

Au niveau structurel, la population vieillit et le bassin de travailleurs diminue de plus en plus s’il n’y pas d’immigration.

Une condition indispensable pour un atterrissage en douceur est le maintien d’un marché de l’emploi serré. L’économie peut tolérer des taux de croissance faibles tant que le marché de l’emploi est sain, que le chômage reste bas et que les consommateurs demeurent peu affectés.

Actuellement, le chômage est encore faible, mais d’autres indicateurs de la santé du marché de l’emploi semblent montrer des signes de faiblesse. Les postes vacants aux États-Unis et au Canada ont commencé à baisser, signal que nous nous dirigeons peut-être vers un marché de l’emploi moins robuste dans les prochains trimestres.

Dans l’ensemble, bien que le marché de l’emploi soit une source évidente de résilience et que celui-ci pourrait demeurer assez robuste pour soutenir la croissance au cours des 24 prochains mois, des indicateurs suggèrent un essoufflement dans la prochaine année. Les pénuries de maind’oeuvre restent un thème crucial, et nous estimons comme moyenne la probabilité d’être surpris par un marché de l’emploi encore résilient au cours des deux prochaines années.

Chine

Qu’en est-il de la Chine? La réouverture post-COVID a été une déception jusqu’à présent. Des contrôles plus stricts sur la création de crédit en Chine, combinés à une demande mondiale plus faible qu’attendu pour les biens manufacturés, ont entraîné une croissance décevante. Pour le mois d’avril 2023, l’indice PMI officiel de l’industrie manufacturière chinoise a chuté sous le seuil de croissance nulle de 50.

À plus long terme, la Chine est entrée dans une nouvelle phase de sa transition démographique, comme le démontrent les prévisions de la Banque mondiale ci-dessous.

La population chinoise est appelée à décliner au cours des prochaines années dû à une combinaison de facteurs, incluant une population vieillissante, une baisse du taux de naissances, et une réduction du bassin de main-d’oeuvre. La politique de l’enfant unique, qui a été introduite en Chine dans les années 70 pour contrôler la croissance de la population, a eu un impact durable sur la démographie du pays. Par conséquent, la proportion de citoyens âgés dans la population est en croissance, alors que le nombre d’adultes en âge de travailler est en déclin. Ceci pourrait entraîner d’importantes conséquences économiques et sociales pour le pays, et crée déjà des vents contraires pour la croissance chinoise, laquelle devrait ralentir au cours des prochaines années.

Bien que l’économie mondiale comporte de nombreux éléments en interaction, la Chine doit composer avec son propre processus de désendettement, ce qui pourrait limiter sa capacité à accélérer le rythme au cours des deux prochaines années. Mais nous sommes d’accord qu’il ne faut jamais sousestimer la Chine et nous qualifions ainsi de moyenne la probabilité d’une surprise positive.

Stimulus fiscal

Finalement, la solution pourrait-elle venir des gouvernements sous la forme d’un nouveau stimulus fiscal? Ce scénario est très peu probable pour trois raisons distinctes.

Premièrement, les stocks de dettes publiques totales exprimées en pourcentage du PIB pour les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et la France sont déjà supérieurs à 100 %, limitant la capacité de ces pays à emprunter massivement au cours des prochaines années.

Deuxièmement, il est maintenant plus coûteux pour les gouvernements d’emprunter. L’époque où les gouvernements pouvaient se financer à un taux de près de 0 % est maintenant révolue. Tout emprunt supplémentaire encouru représenterait une hausse substantielle des coûts du service de la dette.

Troisièmement, tout stimulus fiscal aurait un effet inflationniste. Bien que la stabilité des prix ne soit pas directement du ressort des administrations centrales, les décideurs politiques tenteront sans doute d’éviter de stimuler l’inflation au même moment où les banquiers centraux travaillent fort pour la mater.

Avec l’échec politique qui a coûté à Liz Truss son poste de première ministre du Royaume-Uni encore bien présente dans nos esprits, et avec les récentes négociations sur le plafond de la dette qui placeront vraisemblablement les États-Unis sur une trajectoire de réduction des dépenses, il nous apparaît peu probable que le Canada ou les États-Unis utilisent leurs outils fiscaux pour stimuler la croissance avant le milieu de 2025.

Au sujet de ce scénario « sans atterrissage » d’ici 2025…

Le résultat de notre exercice de réflexion nous amène au tableau suivant.

Cela montre que la probabilité que le Canada évite une récession au cours des 24 prochains mois est considérée comme moyenne, alors qu’elle est au mieux de faible à moyenne pour les États-Unis.

Conclusion

Actions

Dans l’ensemble, nous n’avons pas modifié notre positionnement depuis le mois dernier; nous continuons de privilégier le revenu fixe et le marché monétaire par rapport aux actions.

Depuis quelques mois, l’écart de valorisation entre les indices américains et le reste du monde reste important. Compte tenu de notre opinion sur les actions, nous demeurons souspondérés exclusivement dans le marché boursier américain. La crise sur le plafond de la dette n’a en rien changé notre vision des actions américaines.

Le niveau actuel des taux d’intérêt de court terme nous amène à nous poser la question suivante : quel rendement un investisseur devrait-il exiger au cours des 12 prochains mois pour envisager de prendre une position surpondérée dans le S&P 500 ? Il s’agit d’une question cruciale. Avec le taux des Fed Funds actuellement à 5,25 %, et le potentiel pour d’autres hausses de taux, nous supposons qu’un rendement d’au moins 10 % sur Wall Street est nécessaire pour qu’un investisseur soit enclin à s’exposer au risque du marché boursier alors que le marché monétaire offre des rendements de 5 % et plus sans aucune prise de risque.

En ce qui a trait aux valorisations, le S&P 500 se transige actuellement à 18,3 les bénéfices attendus, un niveau qui se situe au-delà du 79e percentile des données historiques. En d’autres mots, Wall Street se négocie actuellement à des multiples plus chers que 80 % des observations historiques. Il y a des raisons d’être sceptiques, puisque ceci survient vers la fin d’un des cycles de resserrement monétaire les plus importants de l’histoire.

Du côté de la croissance des bénéfices, les prévisions du consensus pour les bénéfices par action (BPA) du S&P 500 sont de 222 $ pour 2023 — exactement au même niveau qu’en 2022, ce qui se traduit par une croissance de 0 %. Les prévisions de BPA pour 2024 sont à 246 $, soit une croissance de 11 % pour l’année civile.

Nos indicateurs avancés brossent un portrait plus sombre : l’indice ISM pointe vers une contraction de la croissance des BPA au cours des six prochains mois de l’ordre de 5 % à 10 % par rapport à l’année précédente. Les prévisions du consensus risquent ainsi d’être revues à la baisse.

Revenu fixe

Nous avons conservé une position surpondérée dans les obligations souveraines de longue durée ce mois-ci, ainsi qu’une sous-pondération dans les obligations de sociétés à haut rendement.

Avec les taux souverains 10 ans actuellement à leur niveau le plus élevé en plus de 10 ans, les obligations sont redevenues une alternative viable aux actions. Après une décennie où l’acronyme TINA (« there is no alternative ») était omniprésent, il apparaît maintenant très sensé de détenir un portefeuille plus équilibré et d’obtenir des rendements intéressants sur la portion revenu fixe en plus de bénéficier surtout d’un effet de diversification.

Les taux d’intérêt sont évidemment le reflet de quelques facteurs : la croissance attendue du PIB, l’inflation et les opinions sur le comportement futur des banques centrales. Les prévisions du marché pour ces trois composantes suggèrent que les obligations, et particulièrement les obligations souveraines de longue durée, sont attrayantes.

En ce qui concerne les anticipations d’inflation, bien que la bataille ne soit pas gagnée, nous voyons un risque que les pressions sur les prix persistent en 2024. Malgré tout, le consensus voit l’inflation revenir à sa cible, ce qui pourrait amener les banques centrales à faire marche arrière quelque part en 2024 et ainsi réduire les taux dans la partie avant de la courbe (engendrant des gains en capital).

Produits de base et devises

Le dollar américain a joué son rôle de valeur refuge le mois dernier et s’est apprécié de 2,7 %. Toutefois, cette tendance pourrait être de courte durée si le marché a raison et que la Réserve fédérale baisse ses taux d’intérêt plus que les autres banques centrales d’ici 2025, entraînant potentiellement une dépréciation marquée du dollar. Entre-temps, les devises des pays émergents, particulièrement les devises à haut rendement de l’Amérique latine et de l’Europe émergente, sont mûres pour une appréciation soutenue.

Entraîné par des craintes au sujet de la croissance mondiale et de la demande chinoise, le cuivre a chuté d’environ 10 % le mois dernier, effaçant tous les gains depuis la réouverture de la Chine. Une réduction des stocks, combinée à une meilleure production qu’anticipé au Pérou, semble mettre davantage de pression à la baisse sur les prix.

Pour ce qui est de l'or, qui a longtemps été considéré comme une réserve de valeur à long-terme. Nous avons plutôt tendance à considérer l'or comme un choix intéressant, tout en étant opportun pour les investisseurs qui cherchent à diversifier leurs portefeuilles et à réduire le risque global.

L'une des raisons pour lesquelles nous sommes encore sur les lignes de côté est que le point d'entrée n'est toujours pas favorable étant donné le caractère cyclique de l'or, la récente hausse des taux réels, ainsi que la résolution potentielle des pourparlers sur le plafond de la dette, ce qui pourrait conduire à de nouvelles faiblesse (les prix sont déjà tombés de 2 050 $ à 1 940 $ sur la progression du plafond de la dette américaine).

1 Bien que cette simplification puisse sembler excessive, soulignons que les données les plus récentes, telles que les indices PMI mondiaux et les indices des chaînes d’approvisionnement, montrent clairement un retour à la « normalité » du côté de l’offre. Par conséquent, nous sommes à l’aise de nous concentrer sur la demande.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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