Macro & Stratégie - Mai 2023

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Le point sur le cycle de crédit

Le style d’investissement macro consiste essentiellement à analyser les différentes phases du cycle économique.

Plusieurs croient que l’économie se résume à une suite sans fin de périodes d’expansion, de pic, de récession, de creux et de reprise. Pourtant, de nombreux sous-cycles, plus courts, peuvent provoquer des hauts et des bas dans différents secteurs économiques et donner naissance à ce qu’on appelle le cycle économique. Ainsi, il existe des cycles plus courts qui touchent les bénéfices des sociétés, la demande de stocks, l’appétit pour le risque et, bien entendu, les marchés eux-mêmes.

L’édition de ce mois-ci se penche sur ce qui est probablement le sous-cycle le plus important : celui du crédit. Compte tenu des turbulences qui ont touché les banques américaines et européennes en mars 2023, nous croyons en l’importance de bien connaître la dynamique du cycle du crédit pour anticiper des scénarios et, surtout, pour prendre des décisions de placement éclairées.

Une définition large du cycle de crédit

Qu’est-ce que le cycle de crédit et pourquoi est-il si important?

En termes simples, le cycle du crédit est une tendance récurrente d’expansion et de contraction qui touche l’accès au crédit et la capacité d’emprunt. Pendant la phase d’expansion, le crédit est facilement accessible auprès des banques qui ont la volonté et les moyens de prêter, les taux d’intérêt sont bas, et les emprunteurs s’endettent pour investir ou élargir leurs activités, ce qui stimule la croissance et l’activité économique.

Les données des dix dernières années démontrent clairement que le cycle de crédit précédent touchait à sa fin au cours des trimestres avant la pandémie de COVID-19 et que des interventions monétaires et budgétaires massives ont donné le coup d’envoi d’un tout nouveau cycle de crédit.

Dans une phase de contraction typique, les niveaux d’endettement augmentent, les prêteurs redoublent de prudence, et les défauts de paiement se multiplient. Le crédit devient alors moins accessible, les taux d’intérêt montent, et les emprunteurs ont du mal à rembourser leurs dettes. En règle générale, ces conditions mènent à un ralentissement de l’activité économique, voire à une récession.

Dans le Mensuel Macro & Stratégie d’avril 2023, nous nous sommes penchés sur les démarches continues des banques centrales pour alléger leur bilan, ainsi que sur la pression à l’endroit des dépôts bancaires. Compte tenu des récentes turbulences bancaires et de la chute de la Silicon Valley Bank, entre autres choses, le sujet qui retient le plus l’attention est le resserrement des normes d’octroi de crédit des banques – la conséquence la plus probable de la crise, une fois contenue. Voilà un développement qui pourrait accélérer la fin du cycle de crédit actuel et qui mérite qu’on s’y attarde de plus près.

En général, les économistes construisent les indices de crédit en se fondant sur plusieurs variables. L’une des plus importantes est la croissance du crédit, c’est-à-dire le taux de croissance des prêts et du crédit dans l’économie. Une forte croissance du crédit peut témoigner d’une phase d’expansion, alors qu’une faible croissance du crédit peut être signe d’une phase de contraction.

Une autre variable clé est le niveau d’endettement au sein de l’économie. En effet, un endettement élevé peut accroître le risque de défaut de paiement et mener à une phase de contraction. La qualité du crédit, illustrée entre autres par le taux de prêts non productifs, est importante elle aussi, car elle témoigne de la santé du secteur bancaire et de la capacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes.

Les taux d’intérêt jouent également un rôle crucial : lorsqu’ils sont faibles, ils peuvent stimuler les emprunts et alimenter une phase d’expansion, mais lorsqu’ils sont élevés, ils ont l’effet d’un frein et peuvent susciter une phase de contraction.

Enfin, les économistes tiennent compte des mesures générales du cycle économique, telles que la croissance du PIB, l’inflation et le chômage, et pour cause : une économie forte favorise la croissance du crédit, alors qu’une économie fragile peut limiter l’offre et la demande de crédit.

En profondeur : illustrations du cycle du crédit et situation actuelle

Les cycles de crédit sont des processus complexes. Avant de présenter un état des lieux et ses conséquences sur le positionnement des portefeuilles, nous tenons à expliquer le fonctionnement interne des cycles de crédit. Voici une vue d’ensemble de la dynamique du cycle du crédit – de l’expansion au pic, à la contraction, puis au creux.

Au cours de la phase d’expansion, la demande de crédit augmente, car les entreprises et les consommateurs cherchent, selon le cas, à élargir leurs activités ou à augmenter leurs dépenses en profitant de conditions de financement favorables. L’augmentation des prêts stimule à son tour la croissance économique. Parfois, c’est durant cette phase initiale que sont plantés les germes d’une contraction ultérieure. Ainsi, certaines phases d’expansion se caractérisent par des emprunts excessifs et une prise de risque importante. Dans la phase d’expansion, le rôle des institutions financières et des décideurs politiques est crucial, car l’accumulation de dettes, voire le surendettement, peut entraîner des risques systémiques qui fragilisent l’économie et le système financier.

Durant la phase de pic, l’optimisme et la croissance économique sont à leur maximum, car le système regorge d’emprunts, et les taux d’intérêt sont raisonnablement bas. Au cours de cette phase, les entreprises et les consommateurs sont plus enclins à s’endetter, et les prêteurs sont plus disposés à octroyer du crédit. Cette période se caractérise également par une prise excessive de risque, de la spéculation et un excès de confiance. Lorsque le cycle économique atteint son pic, les pressions inflationnistes commencent à se faire sentir, ce qui provoque une hausse des taux d’intérêt et un resserrement des conditions de crédit. C’est alors que le pic du cycle de crédit commence naturellement à s’inverser pour laisser place à la phase de contraction. Comme le cycle du crédit a atteint son apogée, les institutions financières et les décideurs politiques ont tendance à adopter des mesures pour accélérer l’inversion vers la phase de contraction. Ainsi, les banques peuvent resserrer leurs conditions de crédit, et les organismes de réglementation peuvent augmenter les réserves obligatoires des banques ou imposer d’autres mesures macroprudentielles, question de réduire les risques de spéculation et d’emprunts excessifs.

Au cours de la phase de contraction, l’économie tourne au ralenti, et les conditions financières se resserrent. Les entreprises et les consommateurs sont moins disposés à s’endetter ou ont moins de moyens de le faire, ce qui fait baisser la demande de crédit. Les prêteurs redoublent de prudence et resserrent leurs normes d’octroi de crédit, limitant encore plus l’accès au crédit. Ces conditions entraînent généralement un ralentissement économique, une augmentation du chômage et une hausse du stress financier chez les emprunteurs. Les décideurs politiques peuvent adopter des mesures, p. ex., de relance monétaire ou budgétaire, pour limiter les effets de la contraction tout en évitant de créer de nouveaux déséquilibres.

Dans la phase de creux, l’économie est au plus bas et se caractérise à la fois par une récession (voire une dépression), un taux de chômage élevé et un resserrement de conditions de crédit. Comme les prêteurs resserrent les cordons de la bourse, les entreprises et les consommateurs ont du mal à obtenir du crédit et peuvent déclarer faillite. Cela dit, la phase de creux est idéale pour les entreprises et les investisseurs qui disposent de liquidités et qui peuvent repérer des actifs sous-évalués, mais susceptibles de s’apprécier. Lorsque l’économie commence à se redresser, les conditions de crédit finissent par s’assouplir. C’est le début d’un nouveau cycle de crédit.

Où en sommes-nous aujourd’hui?

Depuis quelques années, nous assistons à une version accélérée du cycle de crédit standard. La pandémie a provoqué l’arrêt brutal de l’économie et un resserrement des conditions de crédit tout aussi soudain. Du jour au lendemain, le cycle de crédit a plongé dans la phase de creux, qui a poussé les banques centrales et les autorités budgétaires à adopter de vastes mesures de croissance économique.

Le comité des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine mène une enquête auprès des responsables du crédit sur les pratiques de crédit des banques. Les résultats démontrent que le resserrement rapide a été suivi d’un assouplissement rapide des normes d’octroi de crédit. Des prêts à la consommation jusqu’aux prêts commerciaux et industriels, les produits de crédit sont devenus une denrée rare. Lorsque l’économie mondiale s’est redressée, le cycle de crédit est rapidement passé à la phase d’expansion. Les banques regorgeaient de nouveaux dépôts, et les taux d’intérêt n’avaient jamais été aussi bas. Par conséquent, la demande et les normes d’octroi de crédit ont rapidement augmenté, le marché du logement est devenu porteur, et la croissance économique s’est renforcée.

La phase d’expansion s’est poursuivie au second semestre de 2020 avant de se transformer graduellement en phase de pic à la fin de 2021. C’est alors que les valorisations des actifs ont atteint des sommets inégalés. Face à une inflation persistante et à une économie mondiale montrant des signes de surchauffe, les banques centrales se sont lancées dans l’un des plus vastes cycles de resserrement de l’histoire. L’appétit pour le risque s’est essoufflé, entraînant une baisse des valorisations boursières et des prix des maisons. Tout indique que la phase de contraction a commencé vers la fin de 2022 et s’est confirmée en mars 2023, lorsque des banques américaines et européennes ont connu des problèmes liés aux sorties de dépôts, qui ont limité à la fois leur capacité et leur volonté à accorder du crédit.

Mené auprès de petites entreprises américaines, le sondage de la National Federation of Independent Business (NFIB) semble confirmer que l’accessibilité aux prêts a chuté depuis l’épisode des turbulences bancaires et qu’elle se rapproche des niveaux généralement observés pendant une récession. Au Canada, nous commençons à observer une tendance semblable, mais un peu moins prononcée. L’Enquête sur les perspectives des entreprises et l’Enquête auprès des responsables du crédit de la Banque du Canada témoignent toutes deux d’un resserrement continu des conditions de crédit. Du côté de l’Enquête sur les perspectives des entreprises, le nombre de répondants qui disent observer un resserrement des conditions de crédit est passé de 12 % au début de 2022 à 26 % aujourd’hui. L’une des raisons qui expliqueraient pourquoi le resserrement des conditions de crédit au Canada n’est pas comparable à celui des États-Unis est l’absence de turbulences bancaires chez nous en 2023. En fait, dans le numéro du mois dernier, nous avancions que dans l’ensemble, les banques canadiennes étaient dans une position plus solide que leurs homologues américaines. Résultat : le cycle de crédit est moins mouvementé de ce côté de la frontière.

La combinaison du ralentissement de la croissance économique, de la baisse de la demande de crédit, de la hausse des taux d’intérêt et du resserrement des normes d’octroi de crédit nous place fermement dans le quadrant de contraction, sur le diagramme du cycle du crédit. On peut maintenant se demander à quelle vitesse la situation évoluera. Les cycles de crédit précédents ont duré des années. Dépendamment de l’environnement économique, certaines phases se sont prolongées sur des mois, voire des années. Or, la situation actuelle est atypique : des injections massives de liquidités ont servi à lancer le cycle du crédit en 2020 et 2021, après quoi les banques centrales ont renversé la vapeur en 2022 et 2023. Comme les premières phases se sont écoulées rapidement, on aurait pu s’attendre à ce que les phases de contraction et de creux passent tout aussi vite, mettant fin au cycle. Pour déduire que nous nous dirigeons vers la phase de creux, nous nous fions à des indices tels que le niveau plancher de la croissance économique, le resserrement des conditions financières et l’augmentation des faillites et des retards de paiement.

Les prévisions générales de croissance compilées par Bloomberg témoignent clairement d’une baisse. Ainsi, les prévisions de croissance du PIB pour 2023 et 2024 sont de presque 0 % au Canada, aux États-Unis et dans la zone euro. À l’échelle mondiale, les prévisions de croissance s’approchent également du seuil de récession généralement reconnu, qui est de 2,5 %. Pour l’instant, on ne s’attend pas encore à ce que l’activité économique atteigne son niveau plancher. Les politiques monétaires demeurent restrictives, et le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, et le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, sont unanimes : il n’y aura pas de changement de cap tant que l’inflation ne sera pas maîtrisée. À l’heure actuelle, les taux d’inflation sont encore loin de leur cible de 2 %, ce qui veut dire que les conditions financières resteront serrées pendant encore quelque temps.

Qu’en est-il des faillites et des retards de paiement? Comme on peut le voir ci-dessous, les retards de paiement sur les cartes de crédit et les prêts automobiles aux États-Unis ont commencé à augmenter.

Qu’en est-il des faillites et des retards de paiement? Comme on peut le voir ci-dessous, les retards de paiement sur les cartes de crédit et les prêts automobiles aux États-Unis ont commencé à augmenter.

En conclusion, nous serions résolument entrés dans la phase de contraction du cycle de crédit, qui a très probablement débuté fin 2022. Elle pourrait durer presque toute l’année 2023, si l’on se fie aux effets différés du resserrement massif de politique monétaire qui s’est opéré au cours des 13 derniers mois. La phase de creux commencera lorsque l’économie mondiale se rapprochera de la récession ou y entrera. À notre avis, cela pourrait se produire vers la fin de 2023 ou en 2024.

Comme d’habitude, le meilleur moyen de composer avec le cycle du crédit est de faire preuve de vigilance et de souplesse et de surveiller les données et le contexte économique en général. Ce dernier se caractérise par un resserrement des conditions financières, un ralentissement de la croissance économique et une hausse des risques de faillites et de retards de paiement. C’est le moment tout indiqué pour redoubler de prudence et surveiller de près la dynamique du cycle de crédit.

Contraction du cycle de crédit ou resserrement du crédit?

Dans la section précédente, nous avons abordé les points importants sur le cycle du crédit. Il reste à savoir si nous assistons à une contraction potentiellement brutale du cycle du crédit ou bien à un resserrement du crédit.

Un resserrement du crédit (en anglais, « credit crunch ») est un type précis de contraction, qui se produit lorsque l’économie subit une pénurie soudaine et grave de crédit. Ce phénomène est bien plus qu’une simple réticence des banques à prêter de l’argent, face à la détérioration des perspectives économiques. En effet, il découle généralement des pressions réglementaires, de la dépréciation des actifs bancaires ou d’une baisse de rentabilité.

À l’heure actuelle, il est trop tôt pour affirmer que c’est cette dynamique de marché qui émergera du système bancaire mondial. Toutefois, en raison de la pression sur les actifs bancaires, attribuable à la hausse rapide et importante des taux d’intérêt au cours des 14 derniers mois, ce scénario n’est plus impossible et a un peu plus de chances de se concrétiser au cours des prochains trimestres.

Dans le pire des scénarios, les prêteurs sombreraient dans des excès de prudence et refuseraient de plus en plus de crédits, ce qui ferait bondir les coûts d’emprunt en creusant les écarts. Les emprunteurs, tout particulièrement les entreprises, pourraient perdre une partie de leur accès au crédit, ce qui ralentirait l’activité économique tout en haussant le chômage. Un resserrement du crédit est généralement lourd de conséquences sur les marchés, puisqu’il nuit aux actions, à l’immobilier et aux matières premières.

Le resserrement du crédit est parfois attribuable à d’autres facteurs, tels qu’un bouleversement des conditions du marché, un effondrement du marché immobilier ou des ventes massives sur les marchés boursiers. Par exemple, lors de la crise financière mondiale de 2008, le resserrement du crédit découlait essentiellement de la défaillance de prêts hypothécaires à risque aux États-Unis, qui a provoqué l’effondrement du marché immobilier et déclenché une réaction en chaîne. Les institutions financières qui avaient massivement investi dans des titres adossés à des créances hypothécaires ont encaissé des pertes massives, qui les ont rendues réticentes à prêter de l’argent à d’autres banques. C’est ce qui a provoqué une crise de liquidité.

La saga de 2008 est encore fraîche dans l’esprit des décideurs politiques. D’ailleurs, le récent penchant pour l’interventionnisme a poussé la Fed, le Trésor et le gouvernement suisse à adopter des mesures dès le mois de mars.

Pour atténuer une crise du crédit, les gouvernements et les banques centrales ont l’habitude d’apporter des liquidités, et ce, de différentes façons : injections d’argent dans le système financier, prêts d’urgence, réduction des taux d’intérêt ou rachat d’actifs pour augmenter les réserves de liquidités des banques. Or, en raison des démarches en cours pour maîtriser l’inflation, les autorités avaient peu d’outils à leur disposition en mars 2023. Cela dit, elles ont pu créer des accès au crédit qui viennent atténuer les effets des hausses de taux d’intérêt sur la valeur de marché des obligations souveraines. Malgré son impact limité jusqu’à présent, cette mesure semble faire l’affaire.

Conclusion

Actions

Dans l’ensemble, notre positionnement n’a pas changé depuis le mois dernier : nous préférons toujours le revenu fixe et le marché monétaire aux actions.

Depuis quelques mois, l’écart de valorisation entre les indices américains et le reste du monde demeure appréciable. Nous exprimons donc notre prudence face aux actions en souspondérant exclusivement le marché boursier américain.

Le niveau actuel des taux d’intérêt de court terme nous amène à nous poser la question suivante : quel rendement un investisseur devrait-il exiger au cours des 12 prochains mois pour envisager de prendre une position surpondérée dans le S&P 500 ? Il s’agit d’une question cruciale, car avec le taux des Fed Funds actuellement à 5,0 %, et sur le point d’augmenter à 5,25 % en mai, nous supposons qu’un rendement d’au moins 10 % sur Wall Street est nécessaire pour qu’un investisseur soit enclin à s’exposer au risque du marché boursier alors que le marché monétaire offre des rendements de 5 % et plus sans aucune prise de risque.

En ce qui a trait aux valorisations, le S&P 500 se négocie actuellement à 18,3x les bénéfices attendus, un niveau qui se situe autour du 80e percentile des données historiques. En d’autres mots, Wall Street se négocie actuellement à des multiples plus chers que 80 % des observations historiques. Il y a des raisons d’être sceptiques, puisque ceci survient vers la fin d’un des cycles de resserrement monétaire les plus importants de l’histoire.

Du côté de la croissance des bénéfices, les prévisions du consensus pour les bénéfices par action (BPA) du S&P 500 sont de 217 $ pour 2023 - exactement au même niveau qu’en 2022, ce qui se traduit par une croissance de 0 %. Les prévisions de BPA pour 2024 sont à 243 $, soit une croissance de 12 % pour l’année civile.

Nos indicateurs avancés brossent un portrait plus sombre : l’indice ISM pointe vers une contraction de la croissance des BPA au cours des six prochains mois de l’ordre de 5 % à 10 % par rapport à l’année précédente. Les prévisions du consensus risquent ainsi d’être revues à la baisse.

Donc pour revenir à notre question : comment en arriver à un scénario d’augmentation de 10 % du S&P 500 sur les 12 prochains mois ? Pour l’atteindre, il faudrait une combinaison de 1) aucune baisse de la croissance des bénéfices en 2023, malgré les avertissements de nos modèles historiques, 2) une année 2024 supérieure à la moyenne et 3) une valorisation qui devient encore plus chère (20x les bénéfices attendus et plus) dans un contexte de décélération de la croissance économique et de taux d’intérêt élevés.

Revenu fixe

Nous conservons une position surpondérée dans les obligations souveraines de longue durée ce mois-ci, ainsi qu’une sous-pondération dans les obligations à haut rendement.

Avec les taux souverains 10 ans actuellement à leur niveau le plus élevé en plus de 10 ans, les obligations sont redevenues une alternative viable aux actions. Après une décennie où l’acronyme TINA (« there is no alternative ») était omniprésent, il apparaît maintenant très sensé de détenir un portefeuille plus équilibré et d’obtenir des rendements intéressants sur la portion revenu fixe au lieu de bénéficier surtout d’un effet de diversification.

Les taux d’intérêt sont évidemment le reflet de quelques facteurs : la croissance attendue du PIB, l’inflation et les opinions sur le comportement futur des banques centrales. Les prévisions du marché pour ces trois composantes indiquent que les obligations, et particulièrement les obligations souveraines de longue durée, sont attrayantes.

Nous avons démontré dans la section précédente que la croissance attendue du PIB est historiquement faible pour 2023 tout comme pour 2024, et que les risques de récession sont élevés. Puisque les obligations souveraines tendent à agir comme valeurs refuges en périodes de faiblesse économique, l’environnement macro actuel se prête bien à l’établissement d’une position surpondérée.

En ce qui concerne les anticipations d’inflation, bien que la bataille ne soit pas gagnée et que nous voyons un risque que les pressions sur les prix persistent en 2024, le consensus voit une inflation plus faible à l’horizon. Ceci pourrait amener les banques centrales à faire marche arrière quelque part en 2024 et ainsi réduire les taux dans la partie avant de la courbe (engendrant des gains en capital).

Finalement, le positionnement spéculatif sur les obligations du Trésor 10 ans est actuellement à son niveau le plus négatif de l’histoire, créant le risque d’une potentielle liquidation forcée des positions courtes (« short squeeze ») si de mauvaises nouvelles macroéconomiques poussaient soudainement les investisseurs vers les valeurs refuges.

Produits de base et devises

Le dollar américain fait face à des forces opposées qui pourraient le maintenir stable jusqu’au second trimestre de 2023. Toutefois, il est prévu que la Réserve fédérale baisse ses taux davantage que les autres banques centrales sur le long terme, ce qui pourrait se traduire par une baisse marquée du dollar dès la deuxième moitié de 2023 et jusqu’en 2024. Entretemps, les devises des pays émergents, particulièrement les devises à haut rendement de l’Amérique latine et de l’Europe émergente, sont mûres pour une appréciation soutenue. Cependant, nous ne croyons pas que l’ère de la domination du dollar est terminée. Nous avons tendance à être d’accord avec l’ancien Secrétaire du Trésor Larry Summers qui affirme que le yuan ne constitue pas une menace pour le dollar américain, surtout parce que la Chine n’est pas un marché prévisible et fiable. Summers doute que quiconque cherchant la stabilité politique ou un système judiciaire objectif pour arbitrer ses réclamations détienne de grandes quantités d’actifs en yuan. Toutefois, il est d’avis qu’il existe quand même des menaces à la valeur du dollar compte tenu de la crise sur le plafond de la dette aux États-Unis.

Le prix du cuivre est demeuré stable, avec les investisseurs surveillant le marché pour tout signe de percée. Les perspectives économiques mondiales ont pesé sur les prix, mais les faibles stocks et la transition vers les énergies renouvelables forment une histoire convaincante. Une baisse de production de l’ordre de 3,4 % a été observée au Chili, alors que la production dans les mines de cuivre du Pérou a repris et que 39 nouveaux projets miniers entreront en production en 2023. Bien que les investisseurs ne misent plus sur une hausse du prix du cuivre, l’offre restreinte devrait limiter les risques de baisse.

De son côté, l'or qui continue d'osciller autour de ses sommets historiques, ce qui nous incite à retenir notre souffle.

Le métal jaune joue un rôle important dans un portefeuille diversifié. L’or est considéré comme une réserve de valeur depuis longtemps, en faisant un choix populaire pour les investisseurs cherchant à diversifier leur portefeuille et à réduire le risque. En effet, l’or évolue souvent à contre-courant par rapport aux autres classes d’actifs, comme les actions et les obligations, en faisant un outil efficace pour se protéger contre la volatilité des marchés. En période d’incertitude économique ou de turbulences de marché, l’or tend à conserver sa valeur ou même à s’apprécier, offrant une source de stabilité et de protection pour les investisseurs. L’une des raisons qui nous poussent à demeurer prudents est que le dollar américain s’est replié plutôt rapidement au cours des derniers mois et qu’il pourrait être mûr pour un rebond technique. Nous voyons aussi un risque que la volatilité fasse un retour sur les marchés au cours des prochains mois, ce qui se traduit généralement par une appréciation du dollar et, incidemment, par des vents contraires pour l’or.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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