Macro & Stratégie - Octobre 2023

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État des lieux de l’économie mondiale

Le moins qu’on puisse dire après les trois premiers trimestres de l’année complétés, c’est que l’économie mondiale a dépassé les attentes depuis le début de 2023.

Alors que notre cadre macroéconomique continue de prédire une trajectoire pleine de turbulences, les prévisionnistes et les marchés mondiaux deviennent de plus en plus optimistes, et le scénario dominant est celui d’un atterrissage en douceur. Comme nous l’avons longuement expliqué le mois dernier (voir ici), ce n’est pas différent cette fois-ci, en ce sens que la fin des cycles de hausses entraîne généralement une vague d’optimisme généralisé, tandis que la politique monétaire fait son oeuvre sur la machine économique avec un décalage long et variable.

Ce mois-ci, nous croyons qu’il serait utile de souligner que l’inflation supérieure à la moyenne dans les secteurs de l’alimentation, de l’essence, des soins de santé et du logement entraînera inévitablement une augmentation des dépenses en termes nominaux, mais aussi une diminution des quantités de biens et services échangés. Comme le PIB des pays développés dépend de la consommation à 60 % ou plus, d’autres vents de face risquent de freiner la croissance. Mais avant de plonger dans le caractère peu élastique de la demande de produits et services non discrétionnaires, faisons l’état des lieux du paysage macroéconomique mondial.

Chine

Depuis la grande réouverture de janvier, la croissance économique de la Chine ne cesse de décevoir. Chose certaine, les autorités chinoises sont plus désireuses de mettre en oeuvre leurs réformes structurelles que d’atteindre d’audacieux objectifs de croissance à court terme.

De nombreux observateurs s’attendent toujours à ce que le gouvernement adopte des mesures de relance semblables, en taille et en portée, à celles de 2008. Jusqu’à présent, la réponse a été timide.

Ainsi, nous pensons qu’il est de plus en plus probable que la contribution de la Chine à la croissance mondiale poursuive son déclin.

La dépendance historique à l’égard de l’immobilier et des plateformes technologiques grand public, ainsi que l’excès de réglementation et la faiblesse des investissements étrangers témoignent d’un usage excessif des mesures économiques traditionnelles et posent des problèmes structurels. En outre, le surendettement de certains pans de l’économie limite l’efficacité des mesures de relance traditionnelles. Le chômage chez les jeunes constitue une autre source de préoccupation, pour lequel l’arrêt de la publication des données pertinentes n’aide en rien. Dans ce contexte, le gouvernement semble résolu à prendre une autre direction s’il veut éviter de tomber dans une vision trop axée sur le court terme.

Les craintes liées à l’endettement limitent encore plus les possibilités de relance financière importante, ce qui oblige les autorités chinoises à revoir leur modèle de croissance. À ce stade-ci, il est probable que la croissance du pays provienne de secteurs tels que la fabrication à forte valeur ajoutée, l’énergie verte, les soins de santé, l’intelligence artificielle, les supercalculateurs et les sciences de la vie.

L’économie du pays est également en proie à des pressions et à des limites externes, notamment des remises en questionsur la fiabilité des exportations autrefois solides, des
perturbations dans l’importation d’intrants essentiels aux industries, une baisse des investissements directs étrangers et une dégradation générale de la confiance chez les investisseurs mondiaux.

Dans l’ensemble, la réticence apparente des autorités à continuer de mettre en oeuvre des mesures de relance traditionnelles pourrait empêcher la Chine de dépasser lestade d’économie à revenu moyen et entraver encore plus la croissance à long terme. Compte tenu du ralentissement de la croissance démographique, force est de constater que la Chine a de moins en moins de chances de devenir la plus grande économie du monde.

Malgré tout, les autorités ne resteront pas les bras croisés. En fait, l’hypothèse de base est que gouvernement chinois se contentera d’adopter de petites mesures de relance tout en annonçant clairement un virage vers des secteurs de croissance, comme ceux mentionnés plus tôt.

Cette restructuration exigera non seulement du temps, mais aussi un engagement à surmonter les perturbations à courtterme et à décentraliser le pouvoir, ce qui permettrait au
secteur privé de devenir un puissant moteur de croissance. Dans ce contexte, il est peu probable que la Chine redevienne un moteur vital de la croissance mondiale dans un avenir rapproché.

Europe

À l’heure actuelle, c’est sans doute la Banque centrale européenne (BCE) qui a la tâche la plus difficile parmi les banques centrales : composer avec une inflation persistante qui continue d’alimenter la croissance des salaires, tandis que l’Allemagne, son principal moteur économique, serait déjà en récession.

La Commission européenne semble être du même avis, puisqu’elle a abaissé ses prévisions de croissance économique de la zone euro pour 2023 et 2024 en raison de la baisse de la demande des consommateurs, plombée par une inflation élevée. Ainsi, l’économie allemande, la plus importante de la zone euro, devrait se contracter de 0,4 % cette année, alors que les prévisions de mai dernier tablaient sur une croissance de 0,2 %. En ce qui concerne la zone euro, la Commission s’attend à une lente croissance du PIB de 0,8 % pour 2023 et de 1,3 % pour 2024, comparativement à 1,1 % et 1,6 %, respectivement, en date de mai dernier.

Si la Commission a abaissé ses prévisions, c’est parce qu’elle est consciente que l’inflation a eu plus d’effet que prévu sur la demande intérieure. En fait, l’inflation pourrait rester problématique pendant plus longtemps en Europe qu’en Amérique du Nord, compte tenu de la forte dépendance de l’Europe aux importations d’énergie et d’une croissance des salaires qui demeure élevée. Les dernières prévisions de l’inflation des prix à la consommation demeurent élevées : 5,6 % en 2023 et 2,9 % en 2024, ce qui dépasse l’objectif de la BCE, qui est de 2,0 %.

Bien entendu, la banque centrale s’emploie désormais à répercuter les hausses de taux (qui sont passés de moins 0,5 % à 4 % en moins de 18 mois) sur l’offre de crédit de l’économie et mise sur le fait que ces hausses auront un effet cumulé sur le potentiel de croissance des prochaines années. Pour l’instant, le ralentissement de l’économie devrait se poursuivre au cours des prochains mois, compte tenu de la contraction du secteur de la fabrication et de l’essoufflement du secteur des services.

États-Unis

Jusqu’à présent, l’économie américaine s’est montrée plus résiliente que prévu, ce qui a provoqué un revirement total des prévisions générales. Ainsi, les économistes anticipent une croissance de 2,0 % pour l’année, contre presque 0,0 % en janvier.

Sans parler d’atterrissage en douceur comme tout le monde (pour les raisons que nous avons détaillées le mois dernier), nous sommes conscients que de nouvelles données sont encourageantes. Par exemple, l’indice ISM manufacturier reste en mode contraction, mais semble avoir atteint un plancher. L’indice ISM non manufacturier a lui aussi rebondi au cours des derniers mois. Il résiste au pouvoir d’attraction des hausses de taux d’intérêt dans un contexte où les consommateurs américains continuent à puiser dans leur épargne excédentaire.

L’une des principales raisons expliquant notre prudence à l’égard des perspectives sur la plus grande économie du monde est le fait que l’exceptionnalisme américain récent cache un facteur insoutenable : la croissance du déficit national. En effet, nous constatons que l’expansion budgétaire actuelle est encore stimulée par des dépenses publiques toujours croissantes – un phénomène constamment qualifié d’insoutenable par le Congressional Budget Office (CBO). Déjà au début de l’année 2023, le CBO projetait qu’en absence d’un changement de cap, les versements d’intérêts annuels sur la dette publique américaine devraient dépasser le budget de la défense d’ici quelques années. Bref, l’exceptionnalisme américain risque de coûter excessivement cher à mesure que la dette augmente et que les taux d’emprunt s’envolent.

Notre prudence s’explique aussi par nos craintes quant à la fin du moratoire sur le remboursement des prêts étudiants, qui priverait les ménages américains de plus de 50 G$ par trimestre. D’une part, ce chiffre peut sembler raisonnable par rapport à la surabondance d’épargne accumulée (notre texte du mois dernier donne une simple estimation arithmétique). D’autre part, compte tenu de la distribution de la dette étudiante, le chiffre est suffisamment élevé pour influencer le comportement des consommateurs.

Selon un récent sondage AlphaWise Consumer Pulse (voir cidessous), les effets seraient démesurés sur les ménages dont le revenu annuel est inférieur à 50 000 $, lesquels ont la plus importante propension marginale à consommer. Dans ce groupe, 51 % des répondants ont déclaré qu’ils ne pourraient plus s’acquitter de leurs paiements mensuels, et 29 % ont affirmé qu’ils devraient réduire leurs dépenses pour d’autres produits et services. Le tableau est moins sombre dans les autres catégories de revenus, mais fait intéressant, la majorité des ménages (65 %) dont le revenu annuel est supérieur à 100 000 $ devra revoir son budget en conséquence.

En conclusion, la fin du moratoire n’est pas sans conséquence, et les ménages ne vont pas nécessairement attendre d’épuiser leur épargne avant de réduire leurs dépenses. Ainsi, tout indique que les dépenses des ménages demeureront sous pression au cours des prochains trimestres, plombées par la diminution du patrimoine dans un contexte de taux d’intérêt élevés et d’inflation supérieure à la cible.

Canada

À l’heure actuelle, l’économie du Canada se résume en un mot : démographie. C’est grâce à sa politique d’immigration économique que le Canada est devenu l’une des économies développées les plus résilientes au monde. Sa croissance démographique se chiffre actuellement à 3 % en glissement annuel, ce qui représente le rythme le plus rapide depuis le baby-boom des années 1950 et 1960. Comme vous l’aurez sans doute deviné, cette poussée démographique découle presque exclusivement des migrations internationales.

Cependant, le secret de la résilience économique du Canada suscite des problèmes de plus en plus graves : il pousse les prix des logements à la hausse, ce qui nuit aux jeunes acheteurs depuis des années, et met des bâtons dans les roues d’institutions comme la Banque du Canada qui veulent lutter contre l’inflation.

Tout d’abord, en ce qui concerne le logement, il est intéressant de constater qu’entre la forte hausse des taux hypothécaires et la croissance démographique, c’est cette dernière qui a dominé le choc des titans. Dans une note à nos clients rédigée il y a un an à peine (voir ici), nous tentions d’estimer les baisses potentielles de prix dans le secteur canadien de l’immobilier, compte tenu du resserrement de la politique monétaire de la Banque du Canada. Selon nos prévisions, la fourchette la plus probable se situait entre 20 % et 30 %. Or, la récente poussée démographique donne l’impression que nos prévisions les plus optimistes sont maintenant pessimistes, puisque les prix se sont contractés de seulement 11 % avant de remonter à moins de 3 % de leurs sommets historiques dernièrement.

Le secteur du logement n’est pas au bout de ses peines, et on peut s’attendre à une certaine volatilité à mesure que la politique monétaire fait son oeuvre sur l’économie avec un décalage long et variable. Mais jusqu’à présent, un facteur semble atténuer la vulnérabilité du Canada aux chocs des taux d’intérêt : la politique d’immigration.

Comme les effets de la démographie sur l’économie sont complexes, le présent texte ne fera qu’effleurer le sujet.

La principale crainte est qu’à mesure que la population augmente, le taux de croissance potentiel et la richesse globale des ménages en fassent autant, compte tenu du vaste capital financier et humain des nouveaux Canadiens. Ainsi, la croissance du PIB et le marché du travail résistent de mieux en mieux à la vigueur des taux, ce qui maintient une pression sur les salaires et complique le travail de la banque centrale.

Chose certaine, la croissance trimestrielle du PIB réel est loin de briller ces temps-ci, ayant été négative au cours de deux trimestres sur trois. Toutefois, les chiffres par habitant donnent un portrait complètement différent. Sur une base annuelle, le PIB du Canada par habitant s’est contracté de 2 %, effaçant tous les gains enregistrés depuis 2017, et ce, malgré le rebond qui a suivi la pandémie.

Pour enchaîner avec les dépenses de consommation, nous observons une tendance similaire. En effet, la vigueur des prix a porté la croissance des dépenses nominales à plus de 5 % en glissement annuel, mais la croissance réelle par habitant est de moins 1,5 % en glissement annuel.

Ainsi, les ménages rajustent leurs dépenses en raison des effets de la politique monétaire – ce qui est justement le but de la banque centrale. Or, la taille totale de l’économie continue de progresser trop vite pour permettre un retour à une inflation à 2 %. Rajuster les modèles de la Banque du Canada en conséquence est loin d’être banal. Aussi, s’en tenir à une approche fondée sur des données est justifié.

Cela dit, est-ce qu’il serait pertinent de commencer à passer au mode « par habitant » pour la plupart des variables? Les effets sur ces variables seront-ils suffisants pour freiner l’inflation? Probablement pas, ce qui nous porte à croire que la solution pourrait être de maintenir les taux élevés aussi longtemps que nécessaire et de laisser le poids cumulé des politiques monétaires restrictives faire leur oeuvre et finir par dompter la bête.

Théorie économique et comportement des consommateurs

Plongeons maintenant brièvement dans la théorie économique afin d’illustrer comment l’inflation agit sur les contraintes budgétaires des ménages, et peut s’avérer un frein à la croissance économique.

Pendant la pandémie, la population canadienne a accumulé une épargne excédentaire sans précédent de quelque 300 G$. Trois facteurs expliquent ce phénomène : la prudence, les restrictions sanitaires et la réduction des dépenses discrétionnaires. Par contre, cette épargne n’est pas nécessairement accessible sous forme liquide aux fins de consommation immédiate. En effet, elle a servi à rembourser des dettes, à investir dans l’immobilier et à acheter des actifs financiers.

La pandémie de COVID-19 a également eu des effets considérables aux États-Unis. En effet, pendant la récession, les ménages américains ont accumulé une épargne excédentaire sans précédent. Une partie a fait l’objet de retraits réguliers, mais un solde important demeure dans l’économie et selon la Réserve fédérale de San Francisco, il se chiffrerait à 500 G$.

La distribution de cette épargne parmi les différents niveaux de revenus des ménages et les types d’actifs est très incertaine. Toutefois, selon des données récentes sur les actifs des ménages et les soldes des comptes chèques, il semblerait que les ménages de divers revenus disposent de plus de liquidités présentement qu’avant la pandémie.

Selon les prévisions économiques actuelles, l’excédent d’épargne restant devrait soutenir les dépenses de consommation du moins jusqu’au quatrième trimestre de 2023. La diminution de l’épargne devrait toucher divers segments de dépenses de consommation selon l’élasticité respective de leur demande.

L’élasticité de la demande est un concept économique qui mesure la réactivité de la demande des consommateurs à l’évolution de facteurs tels que le prix d’un produit ou d’un service ou le niveau de revenu des consommateurs. En d’autres termes, elle sert à déterminer la sensibilité de la demande à ces changements. L’élasticité peut être divisée en deux grandes catégories : l’élasticité de la demande par rapport au prix et l’élasticité de la demande par rapport au revenu.

L’élasticité de la demande par rapport au prix mesure la variation de la demande par rapport à une variation du prix du produit, en pourcentage. Quant à l’élasticité de la demande par rapport au revenu, elle mesure la variation de la demande en réponse à une variation du revenu des consommateurs, toujours en pourcentage.

Les produits et services peuvent être classés en deux catégories : consommation de base et consommation discrétionnaire. La consommation de base comprend des produits et services de première nécessité comme la nourriture, les services publics ou les soins de santé, que les ménages continueront généralement de se procurer sans égard aux fluctuations de leurs revenus. En revanche, la consommation discrétionnaire comprend des achats non essentiels ou de luxe tels que les vacances, les produits électroniques ou les divertissements.

La demande de la consommation de base est généralement peu élastique, ce qui signifie qu’en réponse à des variations de prix ou de revenus, les consommateurs ne changent généralement pas leurs habitudes d’achat, et pour cause. Ce sont des produits et services de première nécessité, dont les ménages ont besoin malgré les contraintes financières ou les hausses des prix.

En revanche, la demande de la consommation discrétionnaire est beaucoup plus élastique, ce qui signifie qu’elle est plus sensible aux fluctuations de revenus et de prix. Face à une baisse de revenu ou à une hausse des prix, les consommateurs peuvent facilement reporter, voire annuler l’achat de ces produits et services non essentiels. Ainsi, les dépenses discrétionnaires sont généralement plus vulnérables aux variations de l’inflation, aux ralentissements économiques et aux fluctuations de revenus.

En temps normal, lorsque l’épargne des ménages diminue, les consommateurs peuvent recourir au crédit pour lisser leur consommation et maintenir leur niveau de vie. Enraciné dans l’hypothèse du revenu permanent, le lissage de la consommation est un signe que les consommateurs préfèrent maintenir un niveau de consommation stable malgré les fluctuations à court terme du revenu. Pour ce faire, ils ont recours au crédit (prêts, cartes de crédit, marges de crédit) lorsque leur épargne ne suffit pas pour répondre à leurs dépenses.

Toutefois, des taux d’intérêt élevés, le resserrement des conditions de crédit et les incertitudes envers l’économie peuvent fortement limiter le recours au crédit pour lisser la consommation. Les taux d’intérêt élevés augmentent le coût d’emprunt pour les consommateurs, ce qui peut les dissuader de contracter d’autres dettes susceptibles d’aggraver leur situation financière. Quant au resserrement des conditions de crédit (normes de prêt plus strictes, disponibilité réduite du crédit), il peut entraver l’accès au crédit, puisque les prêteurs sont plus réticents à accorder des emprunts en période d’incertitude économique.

En soi, les incertitudes par rapport à l’économie peuvent provoquer des hésitations chez les consommateurs qui voudraient emprunter pour maintenir leur niveau de consommation. À l’origine de ces incertitudes, il y a les craintes quant à la sécurité de l’emploi, aux revenus futurs ou à la santé de l’économie en général, ce qui amène les consommateurs à gérer leurs dépenses et leurs emprunts plus prudemment.

Résultat : au lieu d’emprunter, ils réduisent leurs dépenses discrétionnaires, annulent ou remettent des achats importants à plus tard ou rajustent leur budget et leurs dépenses en fonction de leur épargne réduite.

En conclusion, la pandémie de COVID-19 a entraîné une forte accumulation d’épargne excédentaire chez les ménages canadiens et américains, portée par la prudence, les restrictions sanitaires et la réduction des dépenses discrétionnaires. Bien que cette épargne ne soit pas entièrement liquide, les études portent à croire que les ménages, tous revenus confondus, disposent de plus de liquidités qu’avant la pandémie. Selon les prévisions économiques actuelles, l’excédent d’épargne restant devrait soutenir les dépenses de consommation du moins jusqu’au quatrième trimestre de 2023.

Toutefois, il est probable que les effets de cette situation dépendent de l’élasticité de la demande pour la catégorie de dépenses concernée, à savoir la consommation de base et la consommation discrétionnaire. En temps normal, les consommateurs ont recours au crédit pour lisser leur consommation et maintenir leur niveau de vie lorsque l’épargne ne suffit plus. Compte tenu des taux d’intérêt élevés, du resserrement des conditions de crédit et des incertitudes de l’économie, les consommateurs pourraient plutôt décider de réduire leurs dépenses discrétionnaires ou de rajuster leur budget, menant ainsi à un ralentissement des dépenses de consommation.

Résumé du tour d’horizon économique

D’un point de vue intellectuel et historique, nous continuons à nous opposer à l’idée d’un atterrissage en douceur.

Voici les éléments sur lesquels notre raisonnement s’appuie.

Si les banques centrales maintiennent le cap et que les taux restent élevés pour longtemps, il y a peu de chances que cette fois, ce soit différent et que l’économie s’en accommode. Ce scénario favorise une surpondération des obligations et une sous-pondération des actions.

Si la situation économique devait soudainement s’assombrir sous le poids de politiques monétaires restrictives, les banques centrales pourraient diminuer la pression et décréter des baisses – un autre scénario qui justifierait une surpondération des obligations et la sous-pondération des actions.

Pour résumer, nous croyons que les obligations, en termes de classe d’actifs, offrent une meilleure valeur en ce moment et que les investisseurs prudents ont moins à gagner des actions, tout particulièrement celles du marché américain.

Conclusion

Actions

Nous avons exprimé notre opinion sur les valorisations relativement élevées des actions américaines et sur le fait que celles-ci doivent être comparées avec les rendements attrayants des actifs à revenu fixe.

Par exemple, le marché boursier canadien continue d'offrir une valorisation relative attrayante sur la base de son ratio cours/bénéfice et de son rendement en dividendes, et le secteur des télécommunications constitue un segment porteur. Les services aux collectivités et les banques, qui affichent des bases de revenus solides et des distributions généreuses, offrent également beaucoup de valeur aux cours actuels.

Aux États-Unis, nous avons exprimé au cours des derniers mois notre opinion à l’effet que les valorisations élevées limitent le potentiel haussier des titres technologiques. Nous recommandons de prendre des bénéfices et de se tourner vers le marché monétaire, l'énergie ou des secteurs plus défensifs, tels que les services aux collectivités ou la consommation de base.

En fait, nous maintenons notre position tactique longue sur l'énergie et notre position courte sur la technologie; le secteur de l'énergie tend à être axé sur les catalyseurs, et les dernières mesures de l'OPEP+ visant à limiter toute accumulation de stocks au niveau mondial pourraient en être un.

Enfin, depuis le début de l’année, les bénéfices ont été plus résilients que nous ne l'avions anticipé, la croissance nominale ayant surpassé les attentes. Néanmoins, nos indicateurs avancés indiquent que la route pourrait être plus chaotique et que les investisseurs devraient aborder l'année 2024 avec prudence.

Revenu fixe

Compte tenu de notre position actuelle dans le cycle économique, il est difficile de prévoir si nous connaîtrons une récession, un ralentissement de la croissance ou une brève période de faiblesse. À notre avis, chacun de ces scénarios semble favoriser les obligations.

Comme nous l'avons mentionné précédemment, la confiance envers les finances publiques des États-Unis est l’une des sources importantes de la récente poussée d'exceptionnalisme américain, mais il est peu probable qu'elle soit un moteur durable. Si cette confiance ne devient qu'un facteur neutre, ce qui signifie que la taille du déficit public annuel reste stable, le scénario de faiblesse économique (soft patch) devient plus probable.

Ce qui complique la situation pour les prévisionnistes les plus optimistes, c'est que les taux réels n'ont jamais été aussi élevés depuis la crise financière de 2008, ce qui risque d'aggraver tout ralentissement économique.

Si l'on considère cette situation du point de vue de l'allocation d'actifs, il est naturel de s'attendre à ce que tout scénario économique défavorable aux actions entraîne une rotation des flux de capitaux au profit des titres à revenu fixe et au détriment des actions (surtout pour les thèmes à bêta élevé). De fait, l'attrait relatif des titres à revenu fixe est plutôt élevé à l'heure actuelle, et les investisseurs disposent de plusieurs alternatives (un contexte pour lequel les anglophones utilisent l’acronyme « TAPA »; There are plenty of alternatives).

Produits de base et devises

Nous pensons toujours que les matières premières devraient surperformer les actions américaines au cours des prochains mois, car les prix des deux classes d'actifs divergent largement en matière de prise en compte des risques de récession.

Notre optimisme à l'égard du pétrole se veut prudent. Étant donné le fort momentum dont bénéficie cette matière première depuis quelque temps, nous ne voudrions pas abuser de notre position. L'IPC mondial de l'énergie a augmenté à un taux annualisé de 14 % au cours des trois mois précédant le mois d'août, soutenu par les réductions de production de l'OPEP+. Un choc durable de l'offre comme celui-ci devrait finir par peser sur la croissance mondiale et, incidemment, sur la demande de pétrole.

Tant que l'OPEP+ semblera vouloir continuer à réduire les stocks mondiaux de pétrole en baissant la production, la thèse voulant que les produits de base conserveront leurs gains, voire les accroîtront, tiendra la route. Tout signe de détérioration économique soudaine devrait donner le signal d'une prise de bénéfices sur ce marché.

Soulignons que le dollar canadien a été pris dans les tirs croisés de l'exceptionnalisme américain et de la hausse des prix de l'énergie. Nous restons prudents dans notre évaluation des prochains mouvements du huard, étant donné que le billet vert a tendance à surperformer les monnaies mondiales lors des ralentissements de l'économie mondiale.

Mais nous sommes d'avis que, compte tenu de la résilience de l'économie canadienne, le dollar canadien pourrait être l'une des monnaies les plus performantes lorsque nous verrons enfin le début d'un nouveau cycle économique.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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