Macro & Stratégie - Octobre 2025

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La Fed sous pression

« Pressure pushing down on me... », comme le chantaient Queen et David Bowie.

La Réserve fédérale américaine, sans doute l’institution économique la plus importante au monde, est effectivement sous pression. Mais pas celle qui provient des données sur l’inflation ou de la volatilité du marché du travail. La pression en question est politique, et elle est flagrante.

L’administration Trump ne cache pas ses intentions. Comme nous l’avons évoqué dans notre revue du mois dernier, la Maison-Blanche a clairement fait savoir qu’elle souhaite une Fed plus « réactive ». Autrement dit, des taux plus bas, une politique plus souple et un Conseil des gouverneurs en phase avec ses priorités électorales. La pression exercée sur le président Jerome Powell est sans relâche; l’administration s’efforce désormais activement de remodeler le Federal Open Market Committee (FOMC) en influençant les nominations au Conseil et celles des 12 présidents des banques régionales de la Fed, dont les mandats expirent tous en février 2026.

Cette campagne de pression n’est pas subtile. Il s’agit d’une remise en cause directe de l’indépendance de la Fed qui soulève une question fondamentale : que vaut réellement l’indépendance d’une banque centrale ?

Section 1 : Sous pression – L’indépendance de la Fed est plus qu’un simple principe. C’est un pilier.

La crédibilité : une monnaie au service de la monnaie

Commençons par la crédibilité. Dans un système de monnaie fiduciaire, où l’argent n’est pas adossé à de l’or ou à un autre actif physique, la valeur d’une monnaie repose sur la confiance. Celle-ci se fonde sur la conviction que la banque centrale maintiendra la stabilité des prix — à la fois aujourd’hui et à long terme.

Une banque centrale crédible permet un ancrage des anticipations inflationnistes. Elle aide les entreprises à planifier, les travailleurs à négocier leurs salaires et les investisseurs à répartir leurs capitaux en toute confiance. Cela renforce également l’efficacité de la politique monétaire. Lorsque la Fed a relevé son taux directeur dans les années 1980 sous la direction de Paul Volcker, elle a dû le faire bien au-delà du niveau de l’inflation pour en reprendre le contrôle. Mais en 2021- 2022, la Fed et d’autres banques centrales crédibles ont relevé leurs taux de manière plus modérée, et l’inflation a tout de même baissé. Pourquoi ? Parce que les marchés étaient convaincus qu’elles agiraient de manière décisive si nécessaire. Cette conviction a joué un rôle important.

Autrement dit, la crédibilité est un multiplicateur de force. Elle réduit le coût de la lutte contre l’inflation et accroît l’efficacité de tous les instruments politiques.

Faits saillants

  • La pression politique sur la Réserve fédérale s’intensifie, menaçant son indépendance et annonçant un changement de régime majeur en politique monétaire américaine.
  • Une Fed politisée risque d’abaisser les taux pour des raisons électorales, alimentant des bulles d’actifs et poussant les actifs risqués à la hausse malgré l’inflation.
  • Nous restons surpondérés en actions et dans l’or, avec de nouvelles positions dans les marchés émergents et une sous-pondération du dollar américain, reflétant l’évolution du contexte macroéconomique et politique.

Indépendance : le long terme

C’est leur indépendance qui permet aux banques centrales de jouer la carte du long terme. Elle constitue le pare-feu institutionnel qui protège la politique monétaire du court-termisme des cycles électoraux.

Les politiciens fonctionnent sur un horizon de quatre ans. Ils veulent de la croissance, des emplois et de faibles taux d’intérêt, en particulier pendant les années électorales.

Mais la politique monétaire fonctionne avec un autre calendrier. Elle doit anticiper les pressions inflationnistes, gérer les attentes et parfois prendre des décisions impopulaires pour préserver la stabilité à long terme. L’histoire regorge d’exemples édifiants, aux États-Unis et ailleurs, des conséquences de l’ingérence politique dans la mise en place de la politique monétaire.

Faire preuve d’indépendance ne signifie pas qu’il faille ignorer la politique. Il s’agit plutôt de protéger la politique monétaire de ses pires impulsions.

Définir l’indépendance

En quoi consiste-t-elle concrètement ?

Sur le plan juridique, la Fed est structurée de manière à résister aux ingérences politiques. Les gouverneurs sont nommés pour 14 ans, avec un échelonnement des mandats afin d’éviter un renouvellement massif. Les présidents régionaux sont nommés par les conseils locaux, et non par Washington. La Fed répond au Congrès, non à la Maison-Blanche, et son double mandat de stabilité des prix et de plein emploi est enchâssé dans la loi.

Bien sûr, aucune banque centrale n’est totalement apolitique. Ce sont les présidents qui nomment les gouverneurs, et une convergence philosophique est inévitable, les keynésiens, monétaristes et partisans de l’offre laissant tous leur empreinte. Cependant, cela ne correspond pas à un contrôle politique. Le mandat de la Fed est distinct des objectifs du Trésor. Ses décisions sont fondées sur des données, et non sur des calendriers électoraux.

Et cette séparation est importante. C’est ce qui permet à la Fed de relever les taux lorsque l’inflation augmente... même si les hausses de taux sont impopulaires. C’est ce qui empêche les gouvernements de faire disparaître la dette par l’inflation. Et c’est ce qui donne aux investisseurs la certitude que les règles du jeu ne changeront pas du jour au lendemain.

L’argument orwellien : « Elle n’a jamais été indépendante»

Certains critiques affirment que la Fed n’a jamais été véritablement indépendante. Que sa structure, ses nominations et sa responsabilité envers les élus font de son indépendance un mythe. Mais cet argument ne tient pas compte de l’essentiel.

Oui, la Fed est une institution publique. Oui, ses gouverneurs sont nommés par les présidents. Cependant, l’indépendance n’est pas une question d’isolement, mais d’autonomie. Elle consiste à disposer d’un cadre juridique et institutionnel permettant de résister aux pressions politiques à court terme et de rechercher la stabilité économique à long terme.

L’accord Fed-Trésor de 1951 a marqué un tournant. Il a mis fin à l’obligation de la Fed de financer la dette publique à des taux fixes et lui a permis de déterminer les taux d’intérêt en toute indépendance. La loi sur la réforme de la Réserve fédérale de 1977 a clarifié son mandat et accru sa transparence. L’adoption d’un objectif d’inflation de 2 % dans les années 1990 a renforcé l’ancrage des attentes et la crédibilité de la Fed. Ces changements n’étaient pas superficiels. Ils constituaient des réformes structurelles qui ont donné à la Fed les outils et la légitimité nécessaires pour agir de manière indépendante.

L’importance de cette question aujourd’hui

Aujourd’hui, ces outils sont mis à l’épreuve. La crédibilité de la Fed s’est érodée dans le contexte de la pire vague d’inflation que les États-Unis aient connue depuis des décennies. Cette situation a ouvert la voie à des critiques accrues à l’égard de l’institution, la rendant plus vulnérable aux pressions politiques. Les efforts déployés par l’administration Trump pour démettre la gouverneure Lisa Cook, remanier le Conseil des gouverneurs et influencer les nominations des présidents régionaux sont sans précédent. S’ils aboutissent, ils pourraient faire basculer le FOMC vers une position plus accommodante et plus sensible à la politique, qui privilégie la croissance à court terme au détriment de la stabilité à long terme.

Les marchés suivent la situation de près. Les investisseurs comprennent qu’une Fed politisée pourrait réduire les taux pour des raisons électorales, alimentant ainsi les bulles spéculatives et le risque d’évaluation. Ils savent également qu’une fois la crédibilité perdue, il est difficile de la regagner. Il suffit de demander à l’Argentine. Ou à la Turquie. Ou aux États-Unis dans les années 1970.

La Fed est sous pression. Mais elle est déjà passée par là. Et si l’histoire peut servir de référence, les enjeux sont trop importants pour céder.

Section 2 : Quand la musique s’arrête – Ce qui arrive lorsque les banques centrales perdent leur indépendance

L’indépendance dont jouit une banque centrale est l’une de ces choses auxquelles on ne pense pas, du moins jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Et lorsqu’elle disparaît, les conséquences sont rapides, graves et souvent irréversibles.

Dans cette section, nous revisitons quelques épisodes historiques et contemporains — certains proches de chez nous, d’autres lointains — où l’ingérence de la banque centrale, qu’elle soit flagrante ou subtile, a conduit à un désordre macroéconomique, à une spirale inflationniste et à un dysfonctionnement du marché. Ces exemples nous rappellent que l’indépendance n’est pas un idéal technocratique. Elle constitue un pilier fondamental de la stabilité économique.

États-Unis, les années 1960-1970 : la grande inflation

Dans les années 1960, le président Lyndon B. Johnson a fait pression sur le président de la Fed, William McChesney Martin, pour qu’il maintienne les taux d’intérêt à un niveau bas afin de financer la guerre du Vietnam et ses ambitieux programmes « Great Society ». Martin, dont la visite au ranch texan de Johnson pour y recevoir un sévère avertissement est resté célèbre, a admis plus tard avoir retardé les hausses de taux « à sa grande honte ».

Arrive ensuite Richard Nixon. Obsédé par sa réélection en 1972, Nixon a fortement insisté auprès du président de la Fed, Arthur Burns, pour qu’il stimule l’économie. Burns s’est plié à ses exigences. La Fed a assoupli sa politique, la masse monétaire a augmenté et l’économie a connu un boom, juste à temps pour les élections.

Cependant, la gueule de bois s’est avérée brutale. L’inflation, qui oscillait autour de 3 % au début des années 1970, est montée en flèche pour atteindre plus de 12 % en 1974. Le dollar s’est fortement déprécié après l’effondrement du système de Bretton Woods. Les taux de rendement des obligations du Trésor à long terme ont bondi. Le Dow Jones a perdu près de la moitié de sa valeur en deux ans. L’économie américaine est entrée dans une période de stagflation, caractérisée par une inflation élevée, un chômage important et une faible croissance.

Il a fallu que Paul Volcker recoure à une thérapie de choc dans les années 1980, en relevant les taux à près de 20 % et en déclenchant deux récessions, pour rétablir la crédibilité. Le coût du rétablissement de l’indépendance a été immense. Mais le coût de sa perte aurait été encore plus élevé.

Argentine, les années 2000-2020 : la crise perpétuelle

L’Argentine offre un exemple édifiant de ce qui se passe lorsque l’indépendance de la banque centrale n’est jamais véritablement mise en place.

Tout au long des années 2000 et 2010, les gouvernements successifs ont utilisé la banque centrale pour financer les déficits, manipuler les taux de change et étouffer les statistiques sur l’inflation. Des gouverneurs ont été limogés pour avoir résisté à la pression politique. On a imprimé des pesos pour financer les dépenses populistes.

Les conséquences étaient prévisibles... et elles ont été dévastatrices.

L’inflation est devenue chronique, atteignant 211 % en 2023. Le peso s’est effondré. La classe moyenne a été décimée. Les investisseurs ont exigé des primes de risque exorbitantes ou ont tout simplement évité le pays. Les obligations souveraines se négociaient à des niveaux très bas. Et la banque centrale, considérée comme un outil politique, a perdu toute crédibilité.

À la fin de l’année 2023, le président nouvellement élu, Javier Milei, a proposé de dollariser l’économie et d’abolir la banque centrale purement et simplement; une mesure radicale, et pourtant révélatrice de la profondeur de l’échec institutionnel. L’expérience de l’Argentine montre que, sans indépendance, une banque centrale devient une machine à imprimer des billets. Et une fois que cette perception s’installe, il est pratiquement impossible de la renverser.

Turquie, 2018-2023 : la doctrine du déni

Passons maintenant à l’autre exemple emblématique d’ingérence politique : la Turquie.

Le président Recep Tayyip Erdoğan a déclaré la guerre aux taux d’intérêt en 2018, les qualifiant de « mère et père de tous les maux ». Il a limogé les gouverneurs de la banque centrale qui avaient osé relever les taux et a nommé à leur place des fidèles qui partageaient son opinion — peu orthodoxe — selon laquelle des taux élevés entraînent l’inflation.

Le résultat ? Un cas d’école de dysfonctionnement monétaire.

L’inflation a dépassé les 85 % en 2022. En l’espace d’une décennie, la livre turque s’est effondrée, perdant plus de 95 % de sa valeur par rapport au dollar américain.

Les investisseurs ont fui. Le marché obligataire a exigé des rendements à deux chiffres pour compenser le risque. L’économie s’est dollarisée, les citoyens ayant abandonné la livre turque. Et bien que le marché boursier ait connu une hausse en termes nominaux, les rendements réels ont été anéantis par l’inflation.

Au bout du compte, Erdoğan a été contraint de faire marche arrière. En 2023, il a nommé une nouvelle équipe économique et a autorisé la banque centrale à relever à nouveau les taux. Mais le mal était fait. La crédibilité s’était évaporée. Et il faudra des années, voire des décennies, pour la rétablir.

Le point commun : une crédibilité perdue, une souffrance amplifiée

Ces exemples représentent peut-être les pires scénarios possibles, mais ils mettent en évidence une tendance indéniable : l’ingérence politique entraîne une relance à court terme, qui conduit à l’inflation, à la dépréciation de la monnaie et à une volatilité accrue. Pour rétablir la crédibilité par la suite, il faut procéder à un douloureux resserrement.

Cette tendance a été observée à maintes reprises. Des études portant sur plusieurs épisodes de pression politique exercée sur les banques centrales montrent un lien évident avec une hausse de l’inflation1. Même lorsque les banques centrales résistent à la pression visant à assouplir leur politique, le résultat se traduit par une inflation plus élevée à long terme. Pourquoi ? Parce que l’ingérence politique érode la crédibilité et que les anticipations inflationnistes augmentent.

Aujourd’hui, les États-Unis testent une fois de plus les limites de l’indépendance des banques centrales avec une vigueur inattendue. Les leçons du passé sont claires : il y aura un prix à payer.

Section 3 : Réflexion à rebours – L’indépendance de la Fed s’estompe et le régime du marché évolue

Notre conviction la plus forte est que l’administration Trump fera tout en son pouvoir pour exercer une influence sur la Réserve fédérale, voire en prendre le contrôle total. La question n’est plus de savoir si elle va essayer, mais dans quelle mesure elle va réussir à prendre le contrôle, et à quelle vitesse.

Cette analyse n’est pas spéculative. Il s’agit d’une évaluation stratégique fondée sur des actions observables, des vulnérabilités juridiques et des intentions politiques. Les investisseurs doivent se préparer à un changement de régime important dans la politique monétaire américaine, qui pourrait remodeler le paysage macroéconomique et la dynamique des marchés pour de nombreuses années.

Les quatre scénarios

Nous envisageons quatre scénarios plausibles pour l’avenir de l’indépendance de la Fed :

  1. Indépendance totale préservée : des garanties institutionnelles et juridiques empêchent toute ingérence politique.
  2. Indépendance partiellement compromise : l’influence politique commence à façonner certaines décisions, en particulier la politique de taux directeur.
  3. Perte de l’indépendance fonctionnelle : une majorité politiquement alignée au sein du Conseil et parmi les présidents régionaux conduit à des décisions dictées par les cycles électoraux.
  4. Réforme structurelle mise en œuvre : des changements juridiques redéfinissent la gouvernance de la Fed, renforçant le contrôle exécutif.

Les preuves

Bien que les changements de personnel puissent défrayer les manchettes, les ambitions de l’administration vont bien au-delà d’un simple remaniement des sièges au sein du FOMC. Ce qui se profile, c’est un programme de réforme institutionnelle plus large, qui vise à recalibrer l’architecture de la gouvernance monétaire et réglementaire aux États-Unis. S’il aboutit, il pourrait laisser une empreinte durable sur l’indépendance, la crédibilité et l’orientation politique de la Fed.

La première salve a été tirée en février 2025, lorsqu’un décret présidentiel a introduit des agents de liaison de la Maison-Blanche dans toute une série d’agences indépendantes, y compris l’appareil de supervision bancaire de la Réserve fédérale. Présentée comme une mesure visant à améliorer la coordination et la responsabilité, cette initiative introduit en fait un niveau de contrôle exécutif dans ce qui était traditionnellement un domaine technocratique et isolé.

Puis sont venues les attaques de Trump contre la gouverneure Cook, suivies de la nomination de Stephen Miran au conseil des gouverneurs (tout en conservant son lien d’emploi à la MaisonBlanche). Miran fait déjà ce que Trump attend de lui, exprimant sa dissidence lors de sa première réunion de décision (en poussant pour une baisse de 50 points de base en septembre) et inscrivant dans le graphique à points son avis selon lequel le taux directeur devrait tomber à 3 % d’ici la fin de l’année.

Tout cela, bien sûr, dans un contexte d’attaques incessantes contre le président de la Fed, Jerome Powell, qui a reçu le surnom « Too Late ».

Cela dit, ce qui vient pourrait se révéler l’attaque la plus meurtrière. Parmi les nombreux leviers de la politique monétaire, rares sont ceux qui ont des conséquences aussi discrètes — et aussi sensibles sur le plan politique — que le processus de reconduction des présidents des banques régionales de la Réserve fédérale.

Le processus est le suivant. En février de chaque année se terminant par 1 ou 6, les administrateurs de classe B et C de chaque banque régionale, qui représentent le public et sont nommés dans un souci de diversité des points de vue, sont chargés d’évaluer et de voter sur le renouvellement du mandat de leur président.

Leur évaluation est ensuite examinée par le Conseil des gouverneurs à Washington, qui a le dernier mot. En théorie, ce processus à deux niveaux est conçu pour équilibrer la vision régionale et la supervision nationale. Dans la pratique, cependant, il peut devenir un moyen d’exercer une influence politique, en particulier lorsque le Conseil est étroitement aligné sur l’administration en place.

Évaluation : où allons-nous?

Pour analyser le sérieux de ces développements, nous appliquons la méthode de « réflexion à rebours », une approche structurée qui part de résultats plausibles et remonte en arrière pour les tester à l’aide de preuves diagnostiques. Ce cadre est particulièrement utile dans les environnements politiquement chargés, où les biais cognitifs et l’interprétation sélective des données peuvent fausser le jugement.

La vérification des hypothèses à l’aide de ces preuves mène aux conclusions suivantes :

  • L’hypothèse 1 (indépendance totale) est de plus en plus contradictoire avec les mesures observées. La tentative de destitution d’une gouverneure en exercice et le moment stratégique choisi pour les renouvellements de mandat suggèrent une intention claire d’influencer l’institution.
  • L’hypothèse 2 (perte partielle d’indépendance) se concrétise déjà. Même si des contestations judiciaires bloquent certaines mesures, les pressions et les nominations pourraient commencer à influencer les décisions en matière de taux.
  • L’hypothèse 3 (perte fonctionnelle d’indépendance) est plausible et de plus en plus probable. Une majorité politiquement alignée au sein du Conseil et parmi les présidents régionaux pourrait aboutir à des décisions en matière de taux qui reflètent les priorités électorales plutôt que les fondamentaux macroéconomiques.
  • L’hypothèse 4 (réforme structurelle) demeure un risque à plus long terme, mais la présence de propositions législatives indique qu’elle ne peut être écartée d’emblée.

Implications stratégiques : un nouveau régime de marché

Cette question ne concerne pas uniquement la gouvernance. Il s’agit d’un changement potentiel de régime macroéconomique.

Une Fed politisée est susceptible de baisser ses taux pour des raisons électorales, même si l’inflation se maintient au-dessus de l’objectif. Cet assouplissement pourrait entraîner une surchauffe de l’économie américaine, avec une croissance plus rapide, une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt artificiellement bas. La courbe des taux pourrait ainsi s’accentuer à mesure que les anticipations d’inflation à long terme augmentent. Les actifs risqués, en particulier les actions américaines, pourraient rebondir grâce à l’argent bon marché et à la dynamique actuelle.

Mais un tel rebond reposerait sur des bases fragiles.

Des bulles spéculatives pourraient se former dans plusieurs classes d’actifs : actions, immobilier et crédit. Et bien que les bulles puissent durer plus longtemps que nous le pensons, elles se terminent rarement bien. À terme, l’inflation aura des conséquences néfastes. La Fed pourrait réaffirmer son indépendance, mais elle devra travailler dur pour restaurer sa crédibilité. Un nouvel atterrissage en douceur serait de plus en plus improbable.

À court terme, cet environnement est défavorable au dollar américain. En effet, une banque centrale indépendante est un pilier essentiel pour son rôle de monnaie de réserve mondiale. Les actifs tangibles, comme l’or, devraient continuer à en bénéficier. À plus long terme, le principal risque n’est pas seulement un faux pas cyclique, mais un changement structurel dans la manière dont la politique monétaire est menée et dont les marchés l’interprètent.

Positionnement

Nous continuons de surpondérer les actions, qui bénéficient d’un contexte macroéconomique toujours favorable aux actifs risqués. La Fed s’apprête à baisser ses taux dans une économie qui gagne en vigueur, malgré le ralentissement du marché du travail. Historiquement, cette combinaison a toujours été favorable aux actions, en particulier lorsque les prévisions de croissance sont révisées à la hausse. Les valeurs cycliques sont en tête, les flux sont constructifs et le scénario général de reflation et d’assouplissement monétaire demeure intact. Dans ce contexte, nous avons initié une position sur les marchés émergents. Les actions des marchés émergents, en particulier dans les régions à forte concentration technologique, bénéficient de l’assouplissement monétaire de la Fed, de la faiblesse du dollar américain et d’afflux importants de capitaux étrangers. Les valorisations sont attrayantes et la recherche de diversification régionale ajoute un potentiel de hausse supplémentaire, malgré les risques géopolitiques.

Du côté des titres à revenu fixe, nous avons évolué vers une position globalement neutre à l’échelle mondiale, avec une préférence pour les obligations américaines. Les taux de rendement aux États-Unis demeurent nettement supérieurs à ceux observés en Europe ou au Japon, offrant ainsi un meilleur profil risque/rendement. Nous continuons de sous-pondérer les obligations européennes, car les mesures de relance budgétaire (notamment en Allemagne) pourraient entraîner une divergence au sein de la BCE. Au Japon, la Banque du Japon est toujours en retard, avec des taux directeurs bien inférieurs au niveau neutre malgré la hausse des salaires et de l’inflation, ce qui limite le potentiel de hausse des obligations d’État japonaises.

Sur le marché des devises, nous avons adopté une position sous-pondérée dans le dollar américain. Le billet vert est confronté à des vents contraires structurels : assouplissement de la Fed, pression politique sur l’indépendance de la banque centrale et déficit courant persistant. Parallèlement, nous maintenons des positions surpondérées dans le yen japonais et les devises scandinaves. Le yen est toujours sous-évalué et pourrait se renforcer alors que la Banque du Japon fait face à une pression croissante pour normaliser sa politique monétaire.

La couronne norvégienne et la couronne suédoise sont soutenues par des fondamentaux macroéconomiques solides, des vents favorables sur le plan budgétaire et une valorisation attrayante.

Enfin, l’or demeure une surpondération stratégique. Le cycle d’assouplissement de la Fed, les risques d’inflation et la faiblesse du dollar ont créé un contexte favorable. La demande des banques centrales est robuste et l’or continue de briller à la fois comme actif de réserve et comme couverture contre l’inflation.

1. Binder, Carola Conces, Political Pressure on Central Banks, Journal of Money, Credit and Banking, juin 2021

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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Alex Bellefleur

Vice-président sénior, chef de la recherche, allocation d’actifs

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