Macro & Stratégie - Août 2024

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Une campagne riche en rebondissements

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le paysage électoral américain a connu de nombreux coups de théâtre en juillet. Du côté républicain, nous avons assisté 1) à une tentative d’assassinat contre Donald Trump quelques jours avant 2) la convention nationale républicaine au cours de laquelle l’ex-président a été confirmé comme candidat aux prochaines élections, et 3) le sénateur J.D. Vance a été confirmé comme colistier pour novembre.

Les nombreux discours prononcés lors de la convention, y compris celui où Trump acceptait son investiture, ont mis en évidence les grandes lignes du Parti républicain sous sa gouverne. Il y a été question de politique économique et d’ imposition (être ferme à l’endroit des partenaires commerciaux, en particulier la Chine, financer les baisses d’ impôt par des droits de douane) , de sécurité nationale et d’ immigration (faire appel à l’armé e pour surveiller les frontières, expulser massivement les immigrants clandestins, laisser les autres pays développés payer leur propre défense) et d’indépendance énergétique (à coups de puits de pétrole).

Du côté démocrate, Joe Biden a fini par se retirer de la course au terme d’ un débat catastrophique contre Trump à la fin juin. Ainsi, les pressions croissantes de la part de membres influents du parti et une baisse constante dans les sondages ont eu raison de son investiture. C’est ce qui a ouvert la voie à Kamala Harris, qui a rapidement lancé sa campagne après avoir décroché l’investiture démocrate et récolté 100 millions de dollars dès le premier jour. La convention nationale du Parti démocrate, qui se tiendra du 19 au 22 août, devrait nous donner une meilleure idée du programme de Mme Harris (qui ne devrait pas trop s’écarter de celui de Biden).

Trump an avance, pour l’instant

À la fin juillet, les sondages placent Donald Trump en tête. Selon le site RealClearPolitics, l’ex-président jouit d’ une légère avance avec 47,8 % des intentions de vote contre 46,4 % pour Harris, à l’in star des sondages qui l’opposaient au président Biden. En regardant les données de PredictIt sur les pronostics des marchés, on constate que les chances d’ une victoire de Trump s’élèvent à environ 49,0 %, en baisse par rapport au sommet de 70,0 % vers le 15 juillet, contre 53,0 % pour Mme Harris.

Encore une fois, la nature polarisée de l’électorat américain de 2024, notamment autour de Trump, pourrait être déterminante. Dans notre commentaire d’ avril 2024, nous soulignions que les politiques de Trump, notamment en matière de commerce et de baisses d’ impôt, ont créé un clivage important chez les électeurs. Cette polarisation se traduit par un soutien fort et inébranlable de ses partisans, une ferveur que plusieurs observateurs comparent à celle d’ une secte. Le « trumpisme » demeure une force puissante, quoi qu’en pense l’opinion publique. 

À trois mois des élections, une éternité dans le monde politique, il est possible que Trump ait atteint son apogée trop tôt dans le cycle électoral. D’une part, son avance reste considérable, en particulier dans de nombreux États clés. D’autre part, le temps peut bouleverser la dynamique d’ une course politique.

Des sondages récents comptabilisés par RealClearPolling font état d’ une avance des républicains dans la majorité des États clés, ce qui pourrait empêcher Harris d’ obtenir le nombre de grands électeurs nécessaires à sa victoire. Par exemple, en Arizona, Trump devance Harris de quatre points, tandis qu’en Pennsylvanie, il mène de deux points. Toutefois, dans des États comme le Michigan, son avance est plus mince, signe de la fluidité et de la compétitivité sur ces champs de bataille. Les sondages dans les États pivots démontrent à quel point la course est serrée.

Force est de constater que les marges ne sont pas insurmontables pour Mme Harris, mais à ce stade-ci, il serait difficile de se prononcer sur l’issue du scrutin. En effet, tout dépend de la participation des électeurs et des stratégies de campagne dans les mois à venir.

Un autre facteur qui complique les prévisions est le nombre important d’ indécis. Selon des sondages récents, ils représenteraient près de 10 % de l’électorat. Lorsqu’on leur a demandé vers quel candidat ils penchaient, la moitié avait répondu « Donald Trump », et l’autre , « Kamala Harris ».

Ce segment d’ électeurs indécis est crucial. Leur vote peut changer complètement le résultat de l’élection , en particulier dans un contexte aussi polarisé. Par le passé, les indécis dans les États pivots ont joué un rôle clé lors des scrutins serrés, ce qui démontre l’importa ce pour les candidats de faire campagne et de mobiliser l’électorat sans arrêt jusqu’au jour de l’élection.

Quelques leçons d’histoire sur les apogées précoces

Si l’on se fie aux tendances du passé, un apogée trop précoce peut entraîner une perte d’ élan à mesure que la campagne progresse. Donald Trump l’a d’ ailleurs prouvé : malgré son retard important dans les sondages, il a défait Hillary Clinton en 2016, provoquant la surprise générale.

L’ histoire offre d’ autre s exemples intéressants. Lors des élections de 1948, tous s’attendaient à ce que Thomas Dewey l’emporte contre Harry Truman; au point où un journal a imprimé par erreur la manchette devenue célèbre « Dewey Defeats Truman ». Malgré une avance dans les sondages, la campagne de Dewey a perdu de la vitesse. Pendant ce temps, Truman a continué son offensive jusqu’à la fin et remporté une victoire étonnante.

Un autre exemple digne de mention est la course à la présidence de 1988, où Michael Dukakis était loin devant George H.W. Bush au cours de l’été. Par la suite, la campagne de Dukakis a souffert de nombreux déboires, alors que celle négative et efficace de Bush a renversé la vapeur et mené à une victoire décisive.

Les marchés escomptent l’élection

Les données récentes indiquent que les marchés tablent sur une victoire de Trump, comme l’illustrent les paniers d’actions de Goldman Sachs et de Bank of America qui favorisent les politiques de Trump et font meilleure figure que ceux favorisant une victoire démocrate.

Si les graphiques ci-dessus démontrent que les marchés misent sur une victoire de Trump, il est difficile de déterminer dans quelle mesure. Bien que les rendements récents du marché reflètent les attentes des investisseurs à l’égard du scrutin de novembre, il y a d’ autres facteurs économiques généraux en jeu, dont les interventions de la Réserve fédérale américaine (Fed) et les tendances en matière d’ inflation. Même si la surperformance du panier de Trump témoigne de l’optimisme du marché à l’égard des politiques du candidat, il ne faut pas négliger les indicateurs économiques généraux qui influencent eux aussi les mouvements du marché.

Ce qui complique l’analyse , c’est que les dernières données sur l’inflation aux États-Unis, publiées le 11 juillet, se sont révélées plus favorables que prévu pour la Fed et ont entraîné une réévaluation des probabilités de coupures de taux pour 2024.

La probabilité croissante d’ une victoire de Trump a sans doute alimenté l’accentuation de la courbe de taux (selon le principe voulant que la Maison-Blanche exerce plus de pression sur la Fed et que les politiques budgétaires soient plus souples). Cependant, nous pourrions aussi affirmer que c’est le rythme de ralentissement de l’inflation, observé au cours des derniers mois, qui a le plus contribué à l’accentuation de la courbe jusqu’à présent.

Bref, il n’ est pas banal de prédire le comportement des marchés en fonction du candidat en tête dans les sondages. Cependant, il faut s’attendre à plus de volatilité dans certains segments :

1. Petites capitalisations : Les petites capitalisations ont connu un épisode de surperformance historique en juillet avant de se replier plus tard dans le mois. Si les probabilités de victoire de Trump devaient augmenter, il faudrait s’atte ndre à ce que les petites capitalisations reprennent le dessus en raison des droits de douane, de l’éventualité de politiques pro-entreprises et de la déréglementation. Soulignons toutefois que le rallye des petites capitalisations qui a suivi la victoire surprise de Trump en 2016 avait été violent, mais de courte durée.

2. Grandes sociétés technologiques : Au fil des ans, Trump et Vance ont crié à la censure de la part des grandes sociétés technologiques à l’end roit des publications des conservateurs sur les médias sociaux. Avant le scrutin, une probable victoire de Trump entraînerait sans doute des vents contraires pour le secteur le plus performant de Wall Street, étant donné l’intensification de la surveillance et de la réglementation à prévoir par la suite.

3. Dollar américain : Une probable victoire de Trump serait de bon augure pour le dollar américain, compte tenu des attentes d’ assouplissement des politiques budgétaires, des hausses de taux et de l’augmentation potentielle des droits de douane.

4. Sociétés fortement imposées : Les sociétés soumises à des taux d’ imposition effectifs élevés devraient avoir le vent dans les voiles si Trump l’emporte , ce qui se traduirait par de nouvelles baisses d’ impôt et une charge fiscale réduite. 

Notre positionnement actuel

Nous avons maintenu une surpondération des actions par rapport à l’encaisse, tout en réduisant graduellement l’amp le ur de celle-ci. Les perspectives sur les bénéfices des entreprises sont positives, en particulier pour les secteurs qui soutiennent le développement de l’in te llig ence artificielle et ceux axés sur les biens de consommation, compte tenu de la fin du déstockage. Toutefois, les attentes élevées en matière de bénéfices laissent peu de place pour d’ éventue lles surprises positives, ce qui augmente le risque de déception chez les investisseurs.

Notre marché boursier préféré est celui du Japon en raison des perspectives de bénéfices solides, des réformes des entreprises axées sur un accroissement de la rentabilité, de la politique monétaire favorable et de sa monnaie sous-évaluée sur une base historique.

Nous réduisons notre sous-pondération dans les titres à revenu fixe compte tenu des perspectives qui s’améliorent pour cette classe d’ actifs. Les données récentes sur l’in flation aux États-Unis et au Canada confirment les progrès substantiels vers le taux cible de 2 %, tant pour les biens que pour les services. En outre, le marché de l’emploi s’est considérablement refroidi des deux côtés de la frontière, de sorte que les banques centrales se disent de plus en plus à l’aise de couper les taux. Leurs décisions restent fondées en grande partie sur les données, mais la dynamique globale augure bien pour les titres à revenu fixe. Si les prochaines données confirment les tendances récentes, nous prévoyons augmenter notre exposition à cette classe d’ actifs au cours des prochains mois.

Par ailleurs, nous maintenons une surpondération dans l’or, qui a été soutenu par les tensions géopolitiques et l’allo catio n des banques centrales jusqu’à présent. Le début de la campagne présidentielle aux États-Unis a introduit un nouveau facteur favorable à l’or : les risques budgétaires.

En effet, les deux partis politiques américains se montrent peu enclins à poursuivre l’assainisseme nt budgétaire au cours des prochaines années : les démocrates prônent une augmentation des dépenses publiques, alors que les républicains veulent réduire les impôts, ce qui creuserait le déficit. Même si une détérioration significative des finances publiques semble moins probable sans un contrôle gouvernemental unifié, les investisseurs pourraient chercher à se couvrir contre cette éventualité en augmentant leur exposition à l'or, ce qui pourrait faire grimper le prix de la matière première.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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