Macro & Stratégie - Juillet 2024

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Sous pression : baisse de taux et relance économique au Canada

Le 5 juin, dans une décision largement attendue, la Banque du Canada est devenue la première banque centrale du G7 à réduire son taux directeur après la COVID-19. Comme nous l’avions expliqué ici, l’économie canadienne avait besoin de cette bouffée d’air frais.

Stagnation du PIB dans un contexte de hausse de taux

Depuis la première hausse du taux directeur de la Banque du Canada au premier trimestre de 2022, le PIB canadien fait du sur-place. Ce resserrement monétaire agressif visant à juguler l’inflation a malencontreusement poussé l’économie dans ce que l’on peut qualifier de « récession per capita ». Même si les chiffres globaux du PIB ne reflètent pas une récession sévère, le portrait de l’économie est moins rose une fois rajusté en fonction de la croissance de la population.

Comme l’illustrent les graphiques ci-dessus, le taux de croissance trimestriel du PIB canadien a stagné au second semestre de 2022, juste au moment où la hausse des taux d’intérêt s’est amorcée. Ainsi, une inflation débridée jumelée à un coût d’endettement élevé a anéanti l’élan post-COVID.

Stimulée par des politiques d’immigration ambitieuses, l’expansion démographique du Canada a partiellement masqué cette faiblesse économique sous-jacente. À mesure que la population s’accroît, la simple augmentation du nombre de consommateurs et de travailleurs fait grimper le PIB. En revanche, le PIB par habitant indique que l’activité économique était en territoire négatif au cours de six des sept derniers trimestres.

Cette situation témoigne généralement d’une économie qui peine à intégrer la vague d’immigration massive des dernières années, alors que la croissance démographique au pays a même dépassé celle du baby-boom. Il faut noter que dans les années 1950 et 1960, la croissance démographique était essentiellement attribuable aux naissances, ce qui signifie que la taille du ménage moyen augmentait. Aujourd’hui, la croissance démographique provient surtout de l’immigration, ce qui signifie que le nombre total de ménages augmente et que la pression sur le marché du logement s’accroît; une situation qui augmente les difficultés liées au coût de la vie.

La croissance démographique : une épée à deux tranchants

Le Canada est mondialement reconnu pour sa capacité à attirer et à intégrer des immigrants hautement qualifiés. Cette stratégie est depuis longtemps la pierre angulaire de la politique économique du pays, car elle permet de remédier à la pénurie de maind’oeuvre et d’engager du personnel diversifié et qualifié. En effet, l’afflux de travailleurs a apporté de nombreux avantages :

  1. Amélioration de la dynamique du marché du travail : Les immigrants apportent une contribution importante à divers secteurs, notamment ceux qui exigent des compétences très spécialisées comme la technologie, les soins de santé et l’ingénierie.
  2. Innovation et entrepreneuriat : De nombreux immigrants apportent un esprit entrepreneurial; ils créent de nouvelles entreprises et stimulent l’innovation.

Toutefois, la croissance effrénée de la population crée également des enjeux de taille, notamment pour le marché du logement, où la demande a explosé au point de dépasser l’offre et d’entraîner une forte augmentation des loyers et des prix des maisons. Ces frictions sont si fortes qu’elles nuisent à l’accessibilité au marché immobilier et à la stabilité économique globale.

L’attrait des grandes villes (Toronto, Montréal, Vancouver) et la rareté des travailleurs de la construction (alors qu’ils représentent un taux record de 8 % de la main-d’oeuvre) signifient que le rythme de construction de nouveaux logements n’est jamais assez rapide.

L’énigme du marché du logement

Les tensions dans le marché immobilier soulignent la nécessité d’adopter une approche nuancée en matière de calcul de l’inflation et de politique monétaire. L’inflation du logement provoquée par la hausse des coûts constitue une composante majeure de l’inflation globale. Cependant, le recours à un outil imprécis comme la politique monétaire pour lutter contre l’inflation du logement peut avoir des effets, souvent négatifs, sur l’ensemble de l’économie.

Nous soutenons que la Banque du Canada doit séparer l’inflation du logement de l’inflation totale dans son cadre monétaire, ce qu’elle a fait à juste titre en concluant que le moment était venu de réduire les taux. Bien que la Banque du Canada n’ait qu’un seul mandat, soit de ramener l’inflation totale à 2 %, la distinction entre l’inflation du logement et l’inflation totale lui permet de surveiller le marché du logement tout en évitant un resserrement économique inutile qui étoufferait la croissance économique dans son ensemble.

L’heure est aux baisses de taux

Compte tenu de la conjoncture économique, nous nous attendons à ce que la Banque du Canada se dirige vers une politique neutre. Les fortes hausses de taux ont atteint leur objectif principal, à savoir freiner l’inflation galopante, mais leur coût économique est important. À notre avis, il était grand temps pour la banque centrale d’adopter une politique monétaire accommodante.

Maintenant que la première coupure de taux est derrière nous, nous prévoyons une deuxième coupure le 24 juillet, soit la date de la prochaine décision, et un total de quatre baisses cette année. Le taux directeur passerait ainsi de 5%à 4%d’ici la fin de 2024.

En ce qui concerne 2025 et 2026, nous pensons qu’il est raisonnable de s’attendre à une baisse progressive vers un taux neutre (le taux auquel la banque centrale n’a le pied ni sur le frein ni sur l’accélérateur). Selon la Banque du Canada, ce taux se situe à 2,75 %. Nous recommandons à la banque centrale d’avancer à un rythme soutenu pour plusieurs raisons.

Au-delà de la relative certitude que l’inflation totale se rapproche de la cible de 2 %, nous pensons qu’il est possible de libérer tout le potentiel d’une économie qui abonde en nouveaux travailleurs et qui a besoin d’investissements dans les infrastructures et dans d’autres projets pour accroître la productivité. Ultimement, l’économie canadienne pourrait surperformer au cours des prochaines années, alors que l’économie américaine risque de souffrir du faible taux d’épargne des ménages et de l’explosion de son déficit budgétaire.

Conclusion

L’économie canadienne est à un moment décisif. Si la croissance démographique continue de vitaliser le marché du travail et la société, elle révèle également des vulnérabilités économiques sous-jacentes, en particulier dans le secteur du logement. Une politique monétaire nuancée, séparant l’inflation du logement de l’inflation globale et accompagnée de baisses de taux opportunes, sera essentielle pour faciliter une croissance durable.

En reconnaissant la complexité de la conjoncture et en ajustant ses politiques en conséquence, le Canada peut profiter de ses atouts démographiques tout en relevant les défis structurels qui compromettent son potentiel économique.

Occasions d’investissement

Un environnement de baisses de taux crée de nombreuses occasions pour les investisseurs en titres à revenu fixe. Lisez un article détaillé sur ce sujet ici.

Le cycle d’assouplissement monétaire ayant commencé, les investisseurs devraient s’attendre à une contribution accrue des titres à revenu fixe au rendement de leurs portefeuilles. Notre stratégie consistera à augmenter progressivement les placements en obligations gouvernementales et corporatives à mesure que d’autres banques centrales emboîteront le pas.

Les coupures de taux auront pour effet de diminuer la partie courte de la courbe de rendement, ce qui signifie que le prix des obligations de court terme augmentera à mesure que les taux d’intérêt baisseront. Les obligations de long terme sont également très sensibles aux variations des taux d’intérêt. Si la banque centrale réduit les taux comme prévu, il est probable que le prix de ces obligations augmente, ce qui se traduirait par des gains en capital pour les investisseurs. En outre, ces obligations génèrent des revenus stables sous forme de coupons.

Lorsque les taux d’intérêt baissent, les obligations de sociétés peuvent offrir des rendements attrayants par rapport aux obligations d’État, et leurs prix sont susceptibles d’augmenter. En privilégiant les obligations de catégorie investissement, les investisseurs réduisent le risque de crédit au minimum tout en profitant des avantages que procurent les baisses de taux d’intérêt.

Enfin, une stratégie axée sur un portefeuille échelonné, composé d’obligations à échéances diversifiées, atténue le risque lié aux taux d’intérêt et procure des opportunités de réinvestir à mesure que les obligations arrivent à échéance. Dans un contexte de baisses de taux, les obligations qui arrivent à échéance peuvent être réinvesties dans des obligations de plus long terme offrant des rendements obligataires attrayants.

Point de vue actuel

Notre positionnement a peu changé au cours des derniers mois. Nous continuons à surpondérer les actions par rapport à l’encaisse, mais l'ampleur de cette surpondération a été légèrement réduite. Les actions mondiales sont en pleine expansion depuis 2023 et le consensus des investisseurs est nettement plus optimiste sur les perspectives des marchés boursiers qu'il ne l'était. Tout en demeurant positifs sur les perspectives des bénéfices des entreprises, nous reconnaissons que le sentiment et le positionnement des autres investisseurs se sont améliorés. Même s'il n'est pas encore en territoire d’exubérance, l’optimisme des marchés nous incite à réduire notre surpondération alors que d'autres investisseurs l'augmentent. Nous avons notamment éliminé notre surpondération dans les actions canadiennes pour revenir à une position neutre.

Par ailleurs, si nous maintenons notre souspondération dans les titres à revenu fixe, celle-ci a également été réduite au cours du mois dernier. Comme nous l'avons expliqué, nous pensons que la Banque du Canada se montrera accommodante en raison du ralentissement de l'économie et des contraintes qui pèsent sur les ménages. Dans ce contexte, nous avons tactiquement adopté une position neutre dans les obligations gouvernementales canadiennes.

Nous restons optimistes quant aux perspectives de l'économie américaine et continuons à penser que la Réserve fédérale ne réduira pas les taux d'intérêt autant que le prévoit actuellement la courbe des rendements, mais nous avons réduit la taille de notre sous-pondération en bons du Trésor américain.

L’IPC relativement faible en mai indique que la désinflation se poursuit de façon plutôt encourageante pour la Réserve fédérale et soutenant les obligations d'État. Nous surveillerons de près le marché de l'emploi; il nous orientera sur les futures données relatives à l'inflation des services de base, un indicateur clé pour les futures décisions de la Fed.

Enfin, nous continuons à surpondérer l'or. Nous avons pris note de la réduction récente des achats de la Banque populaire de Chine, ce qui a entraîné un léger recul après un gain impressionnant de plus de 15 % depuis le début de l'année. Toutefois, des facteurs structurels et cycliques continuent de plaider en faveur de l'or : 1) un sommet possible des taux d'intérêt réels se profile à l'horizon, 2) la poursuite de la diversification des réserves de change des banques centrales des marchés émergents, et 3) un environnement géopolitique qui demeure très risqué et favorable à l'or.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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