Macro & Stratégie - Novembre 2024
1 novembre 2024
Commentaires mensuelsÀ la croisée des chemins : le moment japonais de la Chine
À l’aube des élections américaines
Avant d’entrer dans le vif du sujet principal, nous pensons qu’un bref regard sur les élections américaines du 5 novembre s’impose.
Au moment d’écrire ces lignes, l’issue demeure incertaine, mais les chiffres sont désormais défavorables pour Kamala Harris, qui a besoin de gagner dans plusieurs États clés (surtout la Pennsylvanie) pour assurer sa victoire.
Comme la course est serrée et qu’il y a toujours des incertitudes concernant les conséquences d’une victoire de Donald Trump (qu’il s’agisse d’un balayage ou d’un gouvernement divisé), nous vous invitons à relire les commentaires mensuels précédents d’iAGMA (ici et ici). Vous y trouverez une analyse approfondie des politiques de chaque candidat et de leurs effets potentiels sur les marchés. La question des effets sur les relations entre la Chine et les États-Unis se pose également, comme nous le verrons plus loin.
À la fin du mois d’octobre, les marchés semblaient tabler en majeure partie sur une victoire de M. Trump (à raison de 60 % à 70 %, selon nos observations), ce qui signifie qu’une victoire surprise des démocrates pourrait avoir un impact plus marqué sur les marchés. Nous vous reviendrons le mois prochain avec une analyse approfondie des incidences. D’ici là, nous vous souhaitons une bonne soirée électorale.
Pour reparler de la Chine
Depuis environ un mois, les autorités chinoises distillent des mesures de relance, et pour cause : la deuxième économie mondiale peine à retrouver son élan.
À l’instar du Japon des années 1990, l’économie du pays se trouve à un moment critique : elle se heurte à un ensemble complexe de difficultés qui menacent ses perspectives de croissance à long terme. Des bulles spéculatives aux changements démographiques en passant par des niveaux d’endettement élevés et des contraintes politiques, l’économie chinoise présente plusieurs similitudes avec celle qui a entraîné la « décennie perdue » du Japon.
Ce mois-ci, nous explorons ces parallèles et les raisons pour lesquelles la réponse aux problèmes de la Chine ne passe pas nécessairement par l’exportation. De plus, nous évaluerons les possibles changements géopolitiques, en particulier la façon dont une victoire de M. Trump en 2024 pourrait remodeler la dynamique du commerce mondial.
Un choc de désendettement…
Le secteur immobilier chinois est depuis longtemps une pierre angulaire de l’économie : il est responsable, directement ou indirectement, de près de 30 % de la croissance du PIB.
Par exemple, en 2023, les activités immobilières directes ont apporté quelque 13 % au PIB de la Chine, mais si l’on tient compte de tous les secteurs connexes et de leurs retombées, l’apport total estimatif se situe entre 25 % et 30 %. Ce chiffre supérieur reflète le poids important de l’immobilier sur la demande de nombreux produits et de services au sein de l’économie chinoise. De plus, il tient compte de l’impact des ventes de terrains sur les recettes des autorités locales, ainsi que des interconnexions entre l’immobilier et des secteurs tels que la construction et l’industrie lourde.
En ce qui concerne l’apport direct, l’importance de l’activité immobilière est passée de 8 % à 13 % au cours des 10 dernières années, alors que l’économie s’est éloignée de ses racines industrielles pour s’orienter davantage vers les services.
Dans la foulée de cet essor, les données récentes portent à croire que ce secteur est devenu un facteur de risque important.
La surconstruction, la spéculation effrénée et le recours massif au crédit ont provoqué le surendettement du secteur, en train de céder sous son propre poids. Selon les plus récentes données, les prix de l’immobilier sont en chute libre, et sur le marché secondaire, la baisse sur 12 mois avoisinerait les 10 %.
À titre de comparaison, la bulle spéculative japonaise a éclaté en 1990, après une flambée insoutenable des prix des actions et de l’immobilier. Entre 1991 et 1992, les prix des terrains au Japon ont chuté de plus de 20 %, tandis que les cours boursiers ont perdu près de 60 % par rapport à leur sommet. L’éclatement de la bulle a marqué le début de la « décennie perdue » du Japon, conduisant à une longue période de déflation et de stagnation.
Pour la Chine, compte tenu de l’importance du logement dans la richesse des ménages (environ 70 %, contre 45 % au Canada), un éclatement semblable dans le secteur immobilier pourrait déclencher un vent de désendettement, provoquer des ventes massives d’actifs et pousser l’économie vers un ralentissement prolongé.
…suivi d’une récession de bilan
La dette chinoise a explosé dans de nombreux secteurs. Du côté des gouvernements locaux, elle est estimée à 23 000 milliards de dollars, dont une grande partie est liée à des projets d’infrastructure qui génèrent peu de rendements. Selon la Banque des règlements internationaux, le ratio dette totale/PIB de la Chine s’élève à plus de 280 %, et ce chiffre ne cesse d’augmenter. La dette des entreprises du pays dépasse également 160 % du PIB, ce qui fait de la Chine l’une des économies les plus endettées au monde.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle du Japon à la fin des années 1980, lorsque l’endettement élevé des entreprises, combiné aux prêts non productifs du secteur bancaire, a provoqué un resserrement du crédit. Alors que les entreprises et les banques se concentraient sur le remboursement de la dette plutôt que sur les investissements dans la croissance, le Japon est entré dans une période de stagnation.
En raison de son niveau d’endettement tout aussi élevé, la Chine risque de tomber dans cette même « récession de bilan », où les mesures de relance monétaire traditionnelles s’avèrent inefficaces parce que les agents économiques privilégient la réduction de la dette plutôt que les dépenses ou les investissements.
Quand la politique monétaire n’a plus d’effet
La Banque populaire de Chine a réduit les taux d’intérêt à plusieurs reprises au cours de la dernière année afin de stimuler la demande et réduire le coût des emprunts. Comme l’économie est aux prises avec une récession de bilan, les ménages, les entreprises et les gouvernements locaux se heurtent à des niveaux d’endettement élevés et s’emploient à réduire leur dette. Résultat : la demande de prêts s’est dissipée, et la politique monétaire est devenue inefficace.
L’échec des récentes interventions de politique monétaire à stimuler la croissance laisse penser que la Chine se heurte aux mêmes défis que ceux du Japon dans les années 1990, quand même les taux d’intérêt nuls et les injections massives de liquidités n’ont pas réussi à relancer la croissance.
La politique monétaire du Japon, incluant des taux d’intérêt proches de zéro et l’assouplissement quantitatif, n’a pas suffi à stimuler la demande, car l’endettement du secteur privé était encore trop élevé. En conséquence, le recours à la politique monétaire pour résoudre les problèmes économiques actuels de la Chine pourrait ne pas fonctionner, faisant de la politique budgétaire l’outil principal.
La solution réside dans la politique budgétaire
Au cours des 20 dernières années, la Chine s’est fortement appuyée sur la relance budgétaire pour stimuler la croissance et orchestrer la transition vers une économie intérieure plus robuste, notamment par l’entremise de projets d’infrastructures et l’emprunt des gouvernements locaux. Toutefois, ces mesures n’ont fait qu’alourdir la dette, tout particulièrement chez les gouvernements locaux, et, aujourd’hui, de nombreuses régions peinent aujourd’hui à assurer le service de leur dette. Ainsi, en Chine, la relance budgétaire est un couteau à double tranchant. D’une part, elle stimule la croissance à court terme, mais d’autre part, elle crée des risques à long terme, notamment dans les secteurs de l’immobilier et des infrastructures.
Le chemin à parcourir est donc relativement étroit. Le gouvernement fédéral veut adopter suffisamment de mesures de relance pour atteindre l’objectif de croissance annuelle de 5 %, mais les initiatives annoncées jusqu’à présent ne sont pas assez musclées pour rassurer les marchés et les observateurs étrangers quant à leur efficacité.
Deux idées qui pourraient être mises en œuvre, mais qui n’ont pas encore été annoncées : le gouvernement fédéral pourrait tout simplement investir dans l’achèvement des projets immobiliers qui n’ont pas encore été livrés et proposer un nouveau système de partage des revenus pour les gouvernements régionaux, qui sont actuellement incités à vendre un maximum de terrains pour renflouer leurs caisses.
Bien que nous soyons prudemment optimistes quant à la capacité de la Chine à trouver la bonne voie, nous reconnaissons que la tâche est délicate. De même, les mesures de relance budgétaire que le Japon a adoptées dans les années 1990 étaient considérables, mais n’ont pas réussi à générer une croissance durable. Malgré des dépenses publiques importantes, le secteur privé japonais s’est concentré sur le remboursement de la dette plutôt que sur l’augmentation de la consommation ou des investissements. Dans les deux cas, les mesures de relance budgétaire à elles seules pourraient ne pas suffire à contrer le ralentissement économique général.
La Chine a deux autres raisons d’agir rapidement : une déflation de l’indice des prix à la production (IPP) depuis plus de deux ans et un indice des prix à la consommation (IPC) qui dépasse à peine zéro. La déflation ne s’est pas encore totalement emparée de la Chine, mais le risque augmente. Compte tenu du ralentissement des dépenses de consommation et de la faible croissance des prix, la déflation pourrait exacerber le fardeau de la dette, déjà lourd. C’est justement ce qui est arrivé au Japon, où la déflation persistante a rendu les niveaux d’endettement réels encore plus lourds et freiné tant les dépenses de consommation que les investissements des entreprises.
Les défis démographiques : la population chinoise a probablement vieilli avant de s’enrichir
La politique de l’enfant unique en Chine a engendré des défis démographiques à long terme, à savoir le vieillissement de la population et la diminution de la main-d’œuvre.
D’ici 2050, la Chine devrait connaître un virage démographique spectaculaire, au cours duquel la part de sa population âgée de 60 ans ou plus passera de 21 % à près de 35 %. Le Japon s’est heurté à un problème semblable au cours des dernières décennies : sa population a vieilli rapidement, ce qui a contribué à affaiblir la croissance économique et à alourdir le fardeau des services sociaux.
Le vieillissement de la population est un obstacle à long terme qui s’ajoute aux problèmes à court terme du pays. Plus le temps avance, plus le rôle de la Chine en tant que l’un des principaux moteurs de croissance du monde s’érode, d’où l’importance de régler la situation rapidement.
Limites d’exportation et commerce mondial de la Chine
Contrairement au Japon, qui a pu compter sur la faiblesse du yen et la vigueur de la demande mondiale pour se redresser après l’éclatement de sa bulle spéculative, la Chine, deuxième économie mondiale, a moins d’options pour sortir de ses difficultés par les exportations. L’excédent commercial de la Chine est en baisse, et sa part du marché mondial est déjà importante. Toute nouvelle dévaluation du yuan susciterait probablement des représailles de la part de ses partenaires commerciaux, ce qui limiterait l’efficacité des ajustements monétaires pour stimuler les exportations.
En outre, une victoire de M. Trump pourrait se traduire par un régime commercial mondial plus hostile. Au cours du mandat de l’ex-président, les États-Unis ont imposé des tarifs douaniers sur les produits chinois et adopté une politique commerciale plus conflictuelle. Cette posture pourrait être ravivée, surtout si les alliés des États-Unis partagent des frustrations à l’égard de l’influence et des pratiques commerciales de la Chine sur les marchés mondiaux.
Des avantages et des occasions de placement ?
Pour compenser ces vents contraires, la Chine a tenté de donner un peu de souffle à son marché boursier, dans l’espoir de créer un effet de richesse qui viendrait stimuler la confiance et les dépenses des consommateurs. À en juger par les récentes communications des décideurs politiques, il semble que l’augmentation des cours des actions chinoises soit devenue un objectif politique. En encourageant l’investissement local en actions, la Chine veut favoriser un sentiment de stabilité financière. Cependant, l’investissement dans les actions chinoises demeure risqué dans un marché soumis à un interventionnisme important et dont la volatilité des dernières années en fait un choix précaire pour la croissance à long terme.
Cela dit, compte tenu de la faiblesse relative des valorisations et de la volonté apparente du gouvernement de pousser les actions à la hausse, nous croyons qu’il existe des occasions à saisir sur le marché actuel – à condition de vouloir gérer les risques qui les accompagnent.
Conclusion : une mise en garde
Une fois réunis, tous ces éléments démontrent que l’économie chinoise est à la croisée des chemins et qu’il faudra peut-être une toute nouvelle approche en matière d’ingénierie économique pour éviter les erreurs du passé.
Le paysage économique actuel du pays présente de nombreuses similitudes avec celui du Japon des années 1990 – des bulles spéculatives à l’endettement élevé en passant par les défis démographiques et l’inefficacité des politiques. Bien que l’avenir reste incertain, ces parallèles constituent une mise en garde pour les investisseurs et les décideurs politiques. Alors que la Chine est en pleine transition économique, le risque de stagnation se profile à l’horizon, et la dynamique du commerce mondial pourrait changer de manière importante, notamment si les tensions géopolitiques augmentent.
En fin de compte, la capacité de la Chine à éviter un marasme économique prolongé dépendra de sa capacité à mettre en œuvre des réformes concrètes, à réduire sa dépendance à l’endettement pour stimuler la croissance, et à naviguer dans un environnement commercial mondial de plus en plus complexe.
Positionnement mensuel
Nous maintenons une surpondération des actions par rapport aux liquidités, tout particulièrement les actions américaines et des marchés émergents. Le contexte actuel reste favorable aux actions américaines. En effet, l’activité américaine est résiliente, demeure conforme ou légèrement supérieure à la tendance et s’est même accélérée récemment, comme en témoigne l’accélération renouvelée des données sur la vente au détail et l’emploi. Nous croyons que ce contexte favorisera les perspectives à l’égard des bénéfices des sociétés. Comme l’inflation revient graduellement vers la cible, les banques centrales peuvent assouplir leurs taux d’intérêt en les faisant passer d’un niveau restrictif à un niveau neutre ou accommodant, ce qui favorise les multiples des actions. Dans le secteur technologique, un moteur essentiel du marché américain en raison de la forte concentration du marché, les sociétés ont jusqu’à présent dévoilé des bénéfices corrects pour le troisième trimestre. À notre avis, ces annonces sont généralement favorables aux actions américaines, malgré l’incertitude qui pèse sur le résultat de l’élection présidentielle.
Nous apprécions également les actions canadiennes qui, selon nous, continueront à bénéficier du recul de l’inflation au Canada. Voilà qui permettra à la Banque du Canada de poursuivre sa normalisation rapide des taux et à l’économie canadienne d’accélérer sa croissance, ce qui augure bien pour les prévisions de bénéfices.
De plus, comme nous l’avons mentionné plus tôt, les perspectives à l’égard des mesures de relance en Chine sont devenues plus favorables. À la lumière des annonces des dirigeants chinois, qui révèlent que la hausse des prix des actifs est devenue un objectif politique, nous pensons que les actions chinoises peuvent se redresser et ainsi stimuler les marchés émergents dans leur ensemble. Comme ces marchés affichent toujours des multiples de valorisation bas, nous avons adopté un positionnement en conséquence, dans l’attente d’une reprise des actions en Chine et sur les marchés émergents en général.
Nous avons adopté une position neutre sur les titres à revenu fixe, en légère baisse par rapport au mois dernier, principalement en raison de la dynamique de croissance beaucoup plus forte aux États-Unis. Les indicateurs économiques récents font état d’une réaccélération considérable de la croissance. Ils ne représentent pas encore un risque structurel dans la lutte contre l’inflation, mais nous avons pris note de la réaccélération et ajusté notre positionnement sur le revenu fixe afin de le rendre plus neutre.
Nous conservons une perspective positive sur l’or. Les tensions géopolitiques et les allocations des banques centrales l’ont soutenu jusqu’à présent, et l’imminence des élections américaines vient ajouter un nouveau facteur favorable : les risques liés aux politiques budgétaires. Alors que la campagne électorale aux États-Unis entre dans le dernier droit, le potentiel de hausse des déficits budgétaires découlant des politiques budgétaires pose un risque. C’est pourquoi nous voyons l’or comme un bon instrument de couverture contre les difficultés budgétaires potentielles à l’issue de l’élection.